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Vincenzo Nibali


Vincenzo Nibali, imparfait héros 


En 2014, Vincenzo Nibali avait conquis la France, remportant la Grande Boucle au gré de circonstances favorables (abandons de Contador et Froome) et d’un pic de forme savamment calculé. D’abord indécent de transparence avant une lente montée en puissance, il avait fini par être irrésistible sur les routes hexagonales. Tout semblait sous contrôle. En 2015, c’est au contraire par son inconstance qu’il s’est caractérisé. Son début d’année fut fidèle à celui de l’an passé, mais, à partir du mois de juin, le Requin de Messine n’a cessé de fluctuer, tel un squale aux dents de scie. Alternant échecs cuisants et succès majeurs, parsemant ses résultats antinomiques de polémiques, il a continuellement jonglé entre les états d’âme et de grâce. Si humain. C’est aussi en se montrant ainsi, que Nibali séduit.

Certains de ses plus fervents admirateurs déploraient son choix. Nibali, l’intenable, le fougueux, l’imprévisible, celui qui refusait de rentrer dans le moule du cyclisme soporifique, tendait à se soumettre à ses codes, à ne briller qu’une fois par an, à sacrifier ses ambitions plurielles sur l’autel de l’accomplissement d’un seul et unique objectif. Une statistique illustre cette évolution : (hors championnats nationaux), entre mai 2013 et juillet 2015 les dix courses qu’il a remportées se condensent en trois compétitions, les TDF 2014 (dont classement général) et 2015, et le Giro 2013 (dont CG). Si prestigieux succès… si cartésiennes préparations pour les obtenir.

Qu’allait devenir le Vincenzo vainqueur du Grand Prix de Plouay 2006, le Nibali capable de gagner Tirreno-Adriatico et de figurer sur le podium de la Grande Boucle (3e) ainsi que sur celui de deux Monuments (3e de Milan-San Remo, 2e de Liège-Bastogne-Liège), la même année, en 2012 ? Sa saison 2015 confirmera d’abord la tendance évoquée, avant de tordre le coup à cette fatalité.

Critérium du Dauphiné : le panache

Dans les mêmes temps de passage qu’un an auparavant, le Champion d’Italie ne grimpe vers son Everest estival qu’à une faible cadence : cyclotouriste au Moyen-Orient (39e à Dubaï, 20e à Oman), 13e de la Doyenne (LBL) avant un Tour de Romandie au plateau XXL (Quintana, Froome, Uran, Pinot, Spilak… et autre Zakarin) achevé à une anonyme – autant que correcte - dixième place. Rien de bien transcendant à se mettre sous la dent, avant l’heure des derniers réglages en pays dauphinois.

Tandis que Romain Bardet dompte le mythique enchaînement Col d’Allos - Pra Loup*, Nibali se contente de cumuler les kilomètres, semblant ne pas vouloir (ne pas pouvoir ?) se mettre dans le rouge (23e de l’étape). Mais dès le lendemain, son tempérament vaillant reprend le dessus et, dans des conditions dantesques, il dynamite la course à plus de 100km de l’arrivée. Au sein d’une échappée quatre étoiles (avec Valverde, Gallopin et Rui Costa, tous trois leaders de leurs équipes respectives) il se présente au pied de la dernière bosse, contre le démarrage anticipé du Français et lâche les chevaux, ainsi que ses rivaux. Alors qu’il semble s’envoler vers une victoire fondatrice, le Champion du Monde 2013, Rui Costa, opportuniste face à l’éternel, s’empresse de le coiffer au poteau https://www.youtube.com/watch?v=Wf1CtP-xUu4 (dans un final qui rappelle l’un des échecs les plus marquants de la carrière du Requin de Messine). http://www.rtbf.be/video/detail_les-highlights-de-liege-bastogne-liege-2012?id=1722706

Nibali se pare tout de même de jaune à l’issue de cette cavalcade inaboutie.

Il rentre dans le rang durant les deux derniers rounds, observant de loin le duel Van Garderen - Froome, remporté in extremis (pour 10 secondes) par le « Kenyan blanc ». Face aux doutes qu’il peut  inspirer, Nibali (finalement 12e) relativise « Ma plus grosse déception de la semaine sera d'avoir perdu l'étape de vendredi à Villard-de-Lans (2e), (le lendemain), quand les Sky ont accéléré, j'ai préféré ne pas forcer » se montre confiant «  Je suis au même point de forme que l'an dernier à la même époque » et déterminé « Je continue ce que j'ai à faire. ». Est-il vraiment prêt pour le grand combat de juillet ?

Tour de France : l’orgueil du tenant

En effet, le parallèle (dans sa préparation et sa condition physique modestement ascendante) est notable, mais le contexte diffère : il est le tenant du titre et non plus le « 3e favori » (1). Nibali est face à un Contador qui se lance dans son impossible défi de marcher dans les pas de Pantani (auteur du dernier doublé Giro-Tour, en 1998), face à un Froome en reconquête et un Quintana présumé plus aérien dans les cols… face à son destin.

Dès l’ouverture du bal, il mène la danse. 22e du chrono inaugural, à 43 secondes de Rohan Dennis, il trône en tête du carré d’as. Cela ne durera pas. Piégé le lendemain (débours de plus d’une minute sur Froome et Contador), l’Italien est nerveux. Il ne vole pas sur les pavés, accuse à tort son rival britannique suite à la chute qui l’empêche de participer à l’emballage final au Havre, puis manque cruellement de punch à Mûr-de-Bretagne (10 secondes perdues, qui en valent plus encore psychologiquement)… à la veille du contre-la-montre par équipes, il est dos au mur. Sa formation Astana ne fait que limiter la casse, il ne reprend rien. Pire, il perd du temps et se retrouve distancé par le trio de ses challengers désignés. Le roi vacille, il va chuter.

Première arrivée en altitude : démonstration de Froome. Quintana concède une minute, Valverde en lâche deux, Contador trois… Nibali plus de quatre. Rideau. L’image du leader de l’équipe kazakhe, à la dérive sur les pentes de la Pierre-Saint-Martin, est terrible. Le souverain savait qu’il serait contesté, poussé dans ses derniers retranchements, il est en perdition.

Il s’échine à relever la tête pendant la deuxième partie de cette Grande Boucle que l’équipe Movistar sera proche de relancer. Ses banderilles restent de simples escarmouches, de timides pics qui rebondissent sur le bouclier de Froome, qui ne le considère même plus comme un adversaire. 

Lors de la 19e étape ses efforts sont enfin récompensés. Il place une attaque « (in)opportune (?)» et controversée, alors que le maillot jaune déplore un incident mécanique, et obtient, rageur, un succès au goût de maigre compensation. Réaction du chef de file du Team-SKY ? Un laconique « son geste n’était pas sportif », auquel le Sicilien oppose un non moins concis « J’ai fait ma course ». Le torchon brûle entre les deux hommes… mais à feu doux, tant ils ne boxent pas dans la même cour sur cette course. Leur débat houleux (lors de la cérémonie protocolaire) fait appel à l’honneur et à l’éthique. Il ne concerne pas le dénouement de l’épreuve. 

Que la promenade de santé du TDF-cuvée 2014 paraît loin pour Nibali, dont ce sursaut décrié souligne tout de même le caractère et l’inébranlable fierté de fuoriclasse.

Tour d’Espagne : par la petite porte

« On espère le voir participer à la Vuelta cette saison pour qu’il remporte un Grand Tour. » en ces mots, et ce avant même la fin du Tour, Vinokourov n’avait pas manqué d’envoyer un message à son leader : il est grand temps que ta saison soit à la hauteur de ton pedigree. Confronté à tant de sollicitude (sic), dans la foulée de sa fin de Grande Boucle revancharde, le Squale repart en croisade sur le sol ibérique.

Après une entrée en matière « semi-banalisée » (sur un parcours jugé dangereux et face à la polémique qui enflait, les organisateurs ayant décidé de ne pas comptabiliser les temps du chrono par équipes, au classement général), le Tour d’Espagne offre immédiatement une première passe d’armes entre les candidats à la victoire finale. L’arrivée à Caminito del Rey se situe en effet au sommet d’une bosse de 3.3 km à 8.5% (sorte de long repecho). Avant même le début des hostilités, Nibali fait preuve de malchance (même si son placement peut être remis en cause) en étant retardé par une chute collective. Son retour express étonne, voire impressionne (bien qu’il ne termine que 31e à 1min28). Comment est-ce possible de renouer le contact si rapidement avec un peloton lancé à vive allure ? La réponse tombe : l’Italien s’est accroché à la voiture de l’un de ses directeurs sportifs pour prendre de la vitesse et reprendre sa place aux avant-postes. Il est exclu, tout comme Alexandre Shefer (qui conduisait le véhicule en question).

http://video.eurosport.fr/cyclisme/tour-d-espagne/2015/video-vincenzo-nibali-exclu-de-la-vuelta-pour-s-etre-accroche-a-sa-voiture_vid385054/video.shtml

Le Tour d’Espagne en prend pour son grade, perdant l’une de ses têtes d’affiche, mais le retrait du coureur est indiscutable : « Nous acceptons la décision (du jury technique) pour éviter tout précédent » déclare Javier Guillen (directeur général de la Vuelta).

Par cet acte de tricherie manifeste, Nibali (souvent cité comme le symbole du « cyclisme propre », malgré son appartenance à une formation qui a plusieurs fois sombré dans les affres du dopage) écorne son image immaculée. 

Pour ne rien arranger, il cherche (sans succès) à recourir rapidement, demandant à prendre part au Grand Prix Ouest-France de Plouay (30/08) alors que le Tour d’Espagne est encore en cours (22/08-13/09). Le règlement UCI est clair, suite à un abandon, l’obtention d’une dérogation permettant de participer à une autre épreuve est envisageable. Suite à une mise hors-course, elle ne l’est pas (2). Le Requin de Messine ne peut que prendre son mal en patience.

Tour de Lombardie : dans l’Histoire

À nouveau libre de faire parler son pédalier, Nibali est animé par un seul but : remporter la Classique des feuilles mortes, Monument du cyclisme. Pour ce faire il participe à un quadriptyque de semi-classiques italiennes (16-20 septembre), franchissant la ligne en vainqueur lors de la Coppa Bernocchi et terminant également dans le « Top 5 » des trois autres épreuves disputées, puis aux Championnats du Monde sur route (42e), avant de s’imposer lors des Trois Vallées Varésines (30/09). Quatre jours plus tard, le point d’orgue de sa quête de rachat se dresse devant lui.

Présent dans le groupe de costauds (avec Moreno, Pinot, Valverde, Henao, Chaves etc.) qui se détache au fil des bornes, Nibali, en virtuose des trajectoires, se lance dans une descente spectaculaire. Personne ne peut répondre.

https://www.youtube.com/watch?v=iPHnqI13vPk

Il attaque ainsi l’ultime relief en tête, résiste, en remet une couche en aval, avant de savourer cette immense consécration, en terres transalpines et après tant de semaines fortes en émotion. Nibali parachève ainsi sa demi-saison en dents de scie, d’un glorieux point final (sa présence à l’Abu Dhabi Tour étant, sportivement, anecdotique). Dans la foulée, il reconnait que son écart de conduite espagnol était condamnable  « C’était une grave erreur » et explique qu’il avait puisé en lui l’énergie nécessaire à cet épilogue rêvé « Cet épisode m'a mis dans un état de profonde colère. J'ai voulu remonter sur le vélo pour montrer autre chose. Cela m'a redonné une nouvelle motivation. »

Les Tours d’Italie, de France, d’Espagne et de Lombardie, figurent maintenant tous à son tableau de chasse. Performance dont seuls Gimondi, Merckx et Hinault peuvent également se vanter. Agréable compagnie, au panthéon du cyclisme.

D’eaux troubles en océans de louanges, le Requin de Messine navigue entre des sentiments ambivalents depuis cinq mois. Qu’il les ressente ou les suscite, ceux-ci font de lui un Champion apprécié par bien des amoureux transits de la Petite Reine.

En 2016, retrouvera-t-il un rythme de croisière plus paisible ? Continuer de surfer sur la vague d’une inconstance qui n’enlève rien à son excellence, et qui contraste avec la froide et clinique maîtrise de la course du Team-SKY, n’enlèverait rien à sa légende. Au contraire.

Celle-ci repose autant sur son appétence envers les chevauchées homériques que sur son palmarès (3), et se voit encore « romantisée » par les failles qu’il a récemment dévoilées. Ses faiblesses, et sa capacité à les surmonter, sont les garants de sa gloire, les facteurs amplificateurs de sa notoriété. Nibali l’imparfait, est un parfait héros.

Simon Farvacque

* http://www.francetvsport.fr/tour-de-france/la-retro-pedale-1975-thevenet-fait-chuter-merckx-le-cannibale-a-pra-loup-286884

(1) Voir paragraphe « Tour de France 2014 : Contador et Froome se font faux bond » : http://yourzone.beinsports.fr/boxe-mayweather-pacquiao-montagne-accouchera-telle-souris-88417/

(2) Extraits du règlement de l’UCI… concernant un abandon : «  Le coureur qui abandonne ne pourra pas disputer d’autres compétitions cyclistes pendant la durée de l’épreuve, sous peine d’une suspension de 15 jours et une amende de CHF 200 à 1000. Des dérogations pourront cependant être accordées, à la demande du coureur en accord avec son directeur sportif, par l’UCI après consultation de la direction de l'épreuve et du président du collège des commissaires. ».

concernant une mise hors compétition : « Tout coureur mis hors compétition dans une épreuve par étapes ne pourra participer à quelque autre compétition pendant la durée de l’épreuve qui lui a valu sa sanction, sous peine d’une suspension de 15 jours ainsi qu’une amende de CHF 200 à CHF 1’000. ». Aucune exception n’est possible.

(3) Dans le respect de la règle des 4 P : « palmarès et panache sont les deux clés des portes de la postérité, et l’un sans l’autre ne saurait les forcer » (extrait de « Peter Sagan, terreur tout terrain ») : http://yourzone.beinsports.fr/cyclisme-peter-sagan-terreur-tout-terrain-9198/

Autres sources :

http://www.leparisien.fr/espace-premium/sports/nibali-ne-s-inquiete-pas-14-06-2015-4860305.php

http://www.procyclingstats.com/rider.php?id=140778&season=2006

http://www.cyclingpro.net/velopro/road/alexandre-vinokourov-veut-voir-vincenzo-nibali-a-la-vuelta

http://www.dhnet.be/sports/cyclisme/tour-de-lombardie-nibali-gagne-en-solitaire-et-fait-son-mea-culpa-56113a713570b0f19f1d812b

http://www.rtl.fr/sport/football/tour-de-france-2015-froome-trouve-antisportive-l-attaque-de-nibali-7779206171

http://www.lequipe.fr/Cyclisme-sur-route/Actualites/Tour-d-espagne-vincenzo-nibali-exclu-de-la-course-pour-s-etre-accroche-a-une-voiture/584370

http://fr.uci.ch/inside-uci/rules-and-regulations/reglements/

http://fr.uci.ch/mm/Document/News/Rulesandregulation/16/26/68/12-DIS-20150101-F_French.pdf

Article publié le 01/11/15 


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