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La magie du money time


La magie du money time

A l’heure du money time ; les repères sont modifiés, la tension monte, palpable, insoutenable, jusqu’à atteindre son paroxysme, l’affect influe sur des gestes pourtant automatisés, même pour les joueurs les plus doués. Dans ces conditions, rares sont ceux qui restent « de glace » et peuvent ainsi porter le coup de grâce. A l’heure du money time ; c’est un nouveau match qui commence.

 

Golden State Warriors – Houston Rockets (Finale de Conférence Ouest, Game 2) : après la première rencontre remportée par Stephen Curry et ses coéquipiers (110-106), les Rockets de l’ex-lieutenant devenu général, James Harden, ont une deuxième occasion de s’emparer de l’ « avantage du terrain ». Menés d’un point, ils ont une ultime possession pour prendre la main sur cette série, après le « reverse » raté d’Harisson Barnes. C’est Harden en personne (38 pts, déjà) qui a capté le rebond de la dernière chance. Il remonte le terrain, passe la balle à Dwight Howard, l’autre star de l’équipe, qui, pourtant esseulé et lancé, lui redonne dans la précipitation, à 3 secondes du buzzer. Le Barbu s’emmêle les pinceaux et n’arrive point à dégainer. Fin du match, les joueurs de Houston ont laissé filer une opportunité en or... Ils seront finalement défaits 4-1, par les futurs Champions.

Un exemple, parmi tant d’autres, illustrant la complexité et l’importance d’une bonne gestion du « money time », au basket (en l’occurrence). Retour, non exhaustif, sur quelques fins de match mémorables.

Michael Jordan, « The Shot » ...   

Si la NBA devait élire le joueur le plus « clutch »* de son Histoire, Michael Jordan pointerait au rang des favoris, avec ses six bagues aux doigts et son absence de finale perdue... mais pas seulement. En effet, His Airness, avant même de remporter son premier titre de Champion, avait fait acte de candidature pour cette virtuelle distinction. En 1989, alors qu’il est déjà le marqueur fou qui affole la NBA, mais qu’il reste incapable de mener son équipe dans les hautes sphères de la ligue (un seul tour passé en PO, l’année précédente, dans sa jeune carrière), MJ va rentrer dans la Légende.

Les Bulls (6e de la saison régulière, à l’Est) et les Cavaliers (3e) sont à égalité durant ce premier round, 2-2, avant une cinquième rencontre décisive (les premiers tours se jouaient alors au meilleur des cinq matchs), disputée à Cleveland. Les deux équipes se rendent coups pour coups. Jordan permet à sa franchise de passer devant (99-98, 6s) à quelques encablures de la ligne d’arrivée. Craig Ehlo, garde du corps attitré de Sa Majesté, qui n’a rien d’une étoile, profite d’une belle combinaison pour s’infiltrer dans la défense des « Chicagoans » et redonner une longueur d’avance (100-99, 3s) à des Cavs revanchards, après l’élimination subie il y a un an, au même stade de la compétition. 

 

 

Mais MJ, c’est écrit, doit prendre une nouvelle dimension et il en a ici une magnifique occasion. Il se faufile entre trois défenseurs pour obtenir la balle de match tant espérée, se saisit de ce passeport pour la Gloire. Le reste, Ehlo, mieux que quiconque, peut le conter, entre inquiétude « il était si rapide que j’ai dû courir après lui et quand je l’ai fait, je me suis un peu pris les pieds dans le tapis. Au moment où il s’est arrêté pour prendre le shoot, j’étais toujours en train de courir » espoir « et je suis parvenu à mettre ma main devant son visage. » et lucidité « Vu le déroulement du match, je pensais que ce shoot allait rentrer. J’ai vu la trajectoire du ballon et je savais qu’il allait y aller mais je continuais de prier pour qu’il touche le cercle et qu’il ressorte ou quelque chose comme ça. ». Ces prières resteront vaines. 101-100, les Bulls (qui butteront finalement sur les Pistons en finale de Conférence) peuvent jubiler (1).

Ce soir-là, le 7 mai 1989, Michael Jordan (44 pts, 9 rebonds, 6 passes décisives) est devenu le premier basketteur à marquer un « buzzer beater » qui offre la qualification à son équipe, dans un match « quitte ou double » durant les playoffs NBA. L’un de ses nombreux faits d’arme.

Dans une configuration diamétralement opposée, neuf ans plus tard, Air Jordan prouvera encore sa science du money time.

... et le drible de la discorde

NBA Finals 1998, Chicago Bulls – Utah Jazz, cette fois, le palmarès de Jordan est bien plus conséquent. Cinq titres de Champion NBA, déjà, et un sixième à conquérir. La franchise de MJ, double tenante du titre, mène 3-2 et se déplace sur le parquet de son challenger pour s’éviter un Game 7. Les joueurs de l’Utah, emmenés par le duo Stockton-Malone, sont en tête (86-83), à 41 secondes du terme, lorsque le héros de Chicago prend son destin en main. Dans un premier temps, il rapproche son équipe, sur les talons du Jazz, d’un habile lay-up avec la planche (86-85, 37s) puis récupère le ballon dans les mains de Malone !

Vingt secondes à jouer, vingt secondes pour l’éternité. MJ remonte la balle, lentement, puis drible, à l’arrêt, à l’orée de la raquette, comme s’il attendait l’instant fatidique pour clore le débat. Pourtant, alors qu’il reste neuf secondes, il place un démarrage soudain... mais c’est une feinte. Il bloque ses appuis, puis décolle élégamment, pendant que Russell, son vis-à-vis, tente péniblement de ne pas chuter. Le geste est parfait, la trajectoire limpide, la balle délicatement déposée dans le panier... le sort du match semble scellé (87-86, 5s). Stockton, rate le tir à 3pts qui aurait pu tout changer. Jordan et les Bulls ont encore triomphé (parachevant leur second triplé, 96-97-98 après 91-92-93) !

Cet incroyable « step back », assorti d’une légère « poussette », fera toujours polémique. Le déséquilibre de Russell fut-il dû à cette main posée sur son postérieur... où seulement à l’incroyable vivacité de Jordan ? Chacun se fera son avis (2), mais ce doute persistant n’enlève rien à la magie de cette action, il la renforce au contraire.

Décisif, Jordan l’a été à ces deux occasions, ainsi qu’à bien d’autres également, qui peuvent, elles aussi, faire l’objet de passionnants récits. Mais, parfois, plus encore que l’exploit d’un seul homme, c’est une magnifique partition jouée par toute une équipe, couplée à une défaillance collective dans le camp d’en face, qui fait basculer le money time.

Le naufrage français

EuroBasket 2005, en (feu-) Serbie-et-Monténégro : la France et la Grèce se retrouvent en demi-finale de la compétition, après s’être déjà affrontées en poule (victoire des Hellènes, 64-50) et avoir connu des débuts laborieux (passant toutes deux par la case « barrages »).Lorsqu’à 47 secondes du buzzer, Boris Diaw claque un dunk sur contre-attaque, suite à un « and-one » raté par les Grecs ... l’écart est de 7 points (62-55), la dynamique est bleue (la Grèce menant encore 47-46 à moins de 5 minutes du terme) et le suspense semble bien mis à mal. Entre ses propres maladresses et la réussite de son adversaire (sur un nuage), la sélection française va vivre un épilogue cauchemardesque (3).

Sur une pénétration de Papaloukas la défense se resserre (alors que subir un « simple » panier à deux points ne semble pas dramatique) et Gelabale est en retard, pour sortir sur Zisis, très bien servi, qui s’apprête à dégainer longue distance. Le jeune Français (22 ans) commet une faute (sa cinquième, et donc dernière) qui le prive de la fin de match et offre trois lancers au shooteur grec qui les enquille sans sourciller (62-58, 40 secondes à jouer). Dans la foulée, Tony Parker (23 ans), star naissante, est envoyé sur la ligne des lancers. Il y connait moins de succès (0/2). La Grèce peut-elle le faire ? Papaloukas, d’un « marcher », semble ruiner les chances des siens... que nenni. Parker et Florent Piétrus ne se comprennent pas et, dès la remise en jeu (faisant pourtant suite à un temps mort) les Bleus perdent la possession (la passe du premier échouant en touche, malgré l’effort du second).

Trente secondes, quatre points, rien n’est fait. Le « Time out » des Grecs est bien plus efficace : Papadopoulos écrase l’arceau (62-60, 27s). Parker règle la mire (64-60, 26s). Papaloukas, d’une action solitaire, entretient l’espoir (64-62, 18s). Après la réponse en demi-teinte donnée par l’étoile montante du basket français (2/4 dans cette dernière minute), c’est autour de son expérimenté leader, Antoine Rigaudeau (33 ans, dont 15 à défendre les couleurs de son pays) d’être interrogé par le révélateur des lancers : 50% pour lui aussi (1/2, 65-62, 14s). Une faute immédiate (qui ne s’imposait pas) de Boris Diaw (23 ans) offre à Papaloukas une opportunité en or, de ramener sa formation sur les talons des Tricolores. Chose faite (65-64, 13s). 

 

L’homme fort de la fin de match grecque se sacrifie pour la dernière possession, grillant son dernier joker en forçant Rigaudeau à une nouvelle guerre des nerfs. Un sur deux, encore, pour le Français (66-64, 11s) qui ne peut obtenir l’assurance, minimum, d’une prolongation... les Grecs ont leur destin en main. Zisis fait mine d’attaquer le cercle, ressort la balle pour Diamantidis, oublié par Parker, qui porte l’estocade (voir photo) ! 67-66, 3 secondes avant le buzzer. Les Bleus, qui n’ont plus de temps mort autorisé, n’auront même pas le temps de shooter. C’est bien la Grèce qui s’offre une finale européenne (qu’elle remportera aisément, 78-62 face à l’Allemagne) l’équipe de France, quant  à elle, se consolera avec la médaille de bronze, acquise avec brio en disposant de l’Espagne (98-68) ... mais devra encore patienter quelques années pour remporter son premier grand trophée (l'Euro, en 2013).

T-Mac touché par la grâce

Moins d’une année auparavant, dans un match d’une importance bien moindre (au cœur de la saison régulière), Tony Parker avait vécu une fin de rencontre semblable... impuissant face au récital d’un de ses adversaires, inarrêtable. Le 9 décembre 2004, les San Antonio Spurs (Champions 2003, 16V-4D depuis le début de la saison) contrôlent sans mal le derby texan, qui les oppose aux ambitieux Houston Rockets (8V-11D), emmenés par leur tour de contrôle - et nouvelle attraction de la NBA - (Yao Ming) et porté par le talent d’un certain Tracy McGrady, venu d’Orlando avec le statut de double meilleur scoreur de la ligue.

A l’aube de la dernière minute de jeu, l’écart de 10 pts paraît gage de victoire pour les Spurs, mais leurs opposants, à domicile, ne déposent pas les armes. (Dernier) échec de McGrady (alors maladroit, à 8/25), claquette-dunk de Yao (de 74-64, le score passe à 74-66, 52s). Dans la foulée, Parker voit sa transmission pour Duncan interceptée par Padgett qui monte au cercle (74-68, 47s). « Time out » pris par Greg Popovich, pour stopper ce début d’hémorragie. Devin Brown, envoyé sur la ligne de lancers, ne tremble pas face à l’arceau (76-68, 44s)... c’est maintenant l’heure du « T-Mac-show » (4). Il sollicite directement la balle, la remonte, profite d’un écran, et enquille à 3pts (76-71, 35s). Faute rapide. Les joueurs de San Antonio, face à la pression croissante, restent placides : Brown poursuit son 100% (8/8) aux lancers francs (78-71, 31s). Cela se complique pour les hôtes... mais Tracy McGrady, en feu, se débarrasse de Bowen grâce à un nouvel écran, feinte Duncan, le fait sauter, puis provoque le « and one » en réussissant son 3pts en déséquilibre. Le lancer est une formalité (78-75, 24s).

Le temps mort des Spurs est pris à bon escient. Bonne circulation, huit secondes de gagnées, jusqu’à ce que Duncan redonne une petite marge aux siens (2/2 aux LF, 80-75, 16s). « TO » des Rockets. McGrady est servi, bien que marqué de près par Parker, puis Bowen... il score « sur la tête » de ce dernier (qui n’ose pas tenter de le contrer, « jurisprudence Duncan »), pourtant défenseur aguerri (80-78, 11s). Popovich rappelle les siens sur le banc. Cette balle vaut de l’or. Brown, jusqu’ici parfait dans ce final tendu, est trouvé. Il glisse, tout seul, et T-Mac (qui d’autre ?) ramasse le précieux sésame pour la postérité. Il traverse le terrain, sans que quiconque ne doute de son intention. Qui même peut alors douter du résultat de sa chevauchée ? Il s’envole, derrière la ligne des 3pts. Parker fait bien acte de présence. Barry tente également d’opposer sa main au trajet royal de la balle que le héros de la soirée vient de téléguider vers le panier. En vain, bien sûr. 81-80, 1.7s. Juste le temps pour TP, d’envoyer une brique désespérée... le miracle a eu lieu, les Rockets, de nulle part, sont revenus, des abimes d’une défaite sans saveur annoncée, sont remontés, le tout grâce à un homme qui, le temps d’un instant (13 pts en 34 secondes), par la grâce fut touché. 

 

La liste des duels au suspense fou, qui se décidèrent au gré d’actions de classe et de scénarios rocambolesques est interminable (comment oublier le Game 6 des Finals NBA 2013 ? (5) ) et ne cesse de se garnir. Elle met en avant une règle majeure du money time : aucune ne le régit.

Lorsqu’il débute, les bons joueurs risquent de trembler, les excellents assument tant bien que mal leurs responsabilités tandis que les Grands, eux, réussissent à se sublimer. Ce « match dans le match » est leur terrain de jeu, si souvent leur propriété. Mais, parfois, il se refuse à eux, parvenant à les faire flancher, imprédictible voire irrationnel.

C’est aussi ça qui fait le charme, la singularité... et la magie du money time.  

Simon Farvacque

*Décisif dans les derniers instants

(1) https://www.youtube.com/watch?v=zveLtpgQ49Q

(2) https://www.youtube.com/watch?t=34&v=PRCTp57LQro

(3) https://www.youtube.com/watch?v=EhI3jwIWgTM (à partir de 1min19, pour la dernière minute).

(4) https://www.youtube.com/watch?v=M-8FksMVAdU

et match en entier : https://www.youtube.com/watch?v=OkRmeqhl5IM

(5) C’était lors du Game 6 que tout avait basculé, plus particulièrement à 7 secondes de la fin de la rencontre lorsque Ray Allen, servi par Chris Bosh qui venait de capter un importantissime rebond offensif, a dégainé.  Deux pas de recul, un shoot d’une pureté dont il a le secret et l’avantage de 3 points qui devait couronner Tony Parker et ses coéquipiers venait de s’envoler. Extrait de l’article : http://yourzone.beinsports.fr/nba-finales-miami-et-san-antonio-comme-on-se-retrouve-70385/

Sources :

(Cleveland, souffre-douleur de MJ) : http://basket.blog.lemonde.fr/2011/12/27/nba-les-tirs-les-plus-decisifs-de-lhistoire-1/

http://basket-infos.com/2011/12/27/lexploit-de-tracy-mcgrady-houston-rockets-san-antonio-spurs-9122004/

https://fr.wikipedia.org/wiki/Championnat_d'Europe_de_basket-ball_2005

http://www.basketusa.com/news/15716/7-mai-1989-michael-jordan-the-shot/

Publié le 22.06.2015 

 


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