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Emirates Stadium : Antre des illusions et investissement gagnant

Emiartes Stadium :

Antre des illusions et investissement gagnant 


Depuis dix ans, le club londonien d'Arsenal présente le curieux visage de l'élève modèle qui, jamais, n'obtient la mention très bien. D'échecs en camouflets, de déceptions en rêves brisés, les Gunners se résolvent, toujours (ou presque... car depuis un an, la période de disette totale s'est achevée) à échouer aux portes du succès. Pourtant, ils ne quittent ni le "Top 4" de la Premier League, ni le "Top 16" de la Ligue des Champions et présentent une flamboyante santé économique. L’Emirates Stadium, stade flambant neuf qui a permis à Arsenal de rentrer dans une autre dimension... tout en restant pour l'instant le fief de la stagnation de son ambition, s’impose comme un parfait symbole de ce paradoxe. Analyse croisée, entre l'impact budgétaire de cette nouvelle enceinte et les résultats sportifs qui s'en ensuivent pour l'instant.

Préambule :

Utilisé à maintes reprises dans l’article, et via plusieurs de ses versions, le classement « Deloitte Football Money League » (résultant d’une étude réalisée chaque année par Deloitte, cabinet d’audit et de conseil), est basé sur les recettes des différents clubs, pas sur les éventuels bénéfices qu'ils dégagent. Il établit ainsi dans ce domaine, le « top 20 » des clubs de football européens, proposant également le détail de leurs sources de revenus, les divisant en trois grands pôles : « Matchday » (argent récolté par le biais des places en tribunes par exemple), « Broadcasting » (droits audio-visuels) et « Commercial » (vente de produits dérivés, entre autres maillots...). Ni la dette, ni même la moindre dépense, ne sont donc prises en compte dans cette classification, souvent assimilée, à tort, à un indicateur de richesse. Voir, en annexe, pour consulter les études complètes).

Pour certains supporters, le patrimoine historique d'un club n’a pas de prix. Pourtant, il est parfois, en partie, sacrifié sur l’autel de l’économie. C’est ainsi que pour l’Arsenal Football Club, le déménagement d’« Highbury » – surnom donné à l’Arsenal Stadium, en écho au nom du quartier dans lequel il était localisé – fut un projet controversé et long à se dessiner.

Une délocalisation qui inspire le scepticisme 

A la fin du XXe siècle, c’est d’abord un agrandissement qui est envisagé (« Highbury » pouvant jadis accueillir plus de 70 000 spectateurs, voyant alors sa capacité plafonnée à 38 419, après rénovations sécuritaires). Mais, entre les zones résidentielles qui entourent l’un des plus beaux écrins de la Perfide Albion et le fait que l’une de ses tribunes soit classée au patrimoine anglais, l’hypothèse est vite rendue caduque.

La construction d’un nouveau stade devient donc l’action la plus viable aux yeux des décideurs d’Arsenal, qui sont alors confrontés à différents freins (le conseil municipal d’Islington, l’un des districts de Londres dans lequel leur club est situé, leur imposant le respect de plusieurs conditions) et au faible enthousiasme populaire. 

Du côté des fans les plus fervents, on doute de la faisabilité du dossier et de la valeur « Développement Durable » de la future structure... faut-il vraiment tirer un trait sur plus de quatre-vingt ans d’Histoire (en se basant au sein de l’enceinte surnommée « The Home of Football », Arsenal avait mis fin à trente années d’itinérance, en 1913) pour un bénéfice non-avéré, en termes d’image et de performances ? Tandis que les riverains et commerçants locaux semblent carrément opposés à cette idée (plusieurs sondages annonçant un refus massif, à hauteur de 75% ... pendant que le club se gargarise au contraire d’une acceptation de 70% des personnes concernées et qu’Arsène Wenger déclare : « ce nouveau stade est la meilleure chose qui soit arrivée au club depuis l’arrivée d’Herbert Chapman (emblématique entraîneur) en 1925 ».

Toujours est-il que le projet finit par être validé, par les autorités publiques compétentes : Arsenal aura son nouveau stade ! Reste à trouver les moyens de le faire sortir de terre...

Une réussite financière non-négligeable 

Le rachat de l’espace qu’il occupera, ses coûts de construction etc. rendent prégnant l’enjeu de son financement. Arsenal, ne pouvant pas compter sur la moindre subvention publique, utilise différents vecteurs pour amortir son ambitieux pari sur l’avenir. Cependant, bénéfices sur l’achat/vente de joueurs ou autre contrats de sponsoring (notamment avec Nike) ne suffisent pas : le projet estimé initialement à 300 M de livres sterling £ (près de 445 M d’euros)  gonfle à 390 M de £ et le club s’endette.

Mais en 2004 (qui fut un temps espérée comme année d’inauguration du nouvel domicile) la société mère,  Arsenal Holdings plc, trouve un accord avec les banques : la dette est rachetée (« refinancée » sur 30 ans). Dans la foulée, le club contracte avec la compagnie aérienne Emirates, un partenariat dit « de naming ». Partenariat dans l’air du temps, l’Allianz Arena de Munich, par exemple, étant alors en construction.

Pour 100 M de £ (147 M d’€, un record en ce qui concerne le ballon rond, à l’époque) la société partenaire donne son nom (pour au moins quinze ans) à l’antre des Gunners, dont l’appellation envisagée (Ashburton Grove) se mue en Emirates Stadium. (Depuis, en 2012, le contrat a été reconduit jusqu’en 2019 pour le sponsoring-maillot et 2028 pour le « naming » ainsi que revalorisé à hauteur de 150 M de £ échelonnés sur six saisons).

C’est ainsi qu’à l’été 2006, après que Thierry Henry ait signé un triplé (victoire 4-2 contre Wigan) à l’occasion du dernier match disputé à « Highbury », Arsenal débute une nouvelle ère, dont l’entame promet d’être compliquée, en jouant sa première rencontre à l’ « Emirates » (qui peut accueillir jusqu’à 60 362 spectateurs).

Alors qu’une page se tourne également sur le pré (la défaite en finale de C1, quelques mois auparavant, face au Barça, chant du cygne des « Invincibles » de 2004 (1) annonçant une période de transition), c’est à moyen terme que ce changement d’adresse devra porter ses fruits. Cependant, en retour sur investissement, l’impact ne tarde pas.

En effet, dès la saison suivante, le modèle économique d’Arsenal s’en voit profondément chamboulé... d’une façon très favorable, via l’augmentation de 111% du « Matchday » [la part de cette catégorie de revenus passant de 33 % à 51 % par rapport à l’ensemble de l’argent obtenu (stagnant depuis, avant de chuter à nouveau, notamment en raison de l’explosion des droits télévisuels en Angleterre). voir tableau suivant], lui permettant de gagner cinq places au Deloitte Football Money League de 2008, traitant de l’exercice 2006-2007, puis de s’y maintenir dans le « Top 6 » durant six ans.  



 
 

Mais, comme craint, en « résultat-terrain » la répercussion se fait attendre, malgré un premier rebond prometteur (jusqu’à la demi-finale de C1 de 2008-2009, perdue face à Manchester United, 1-0 ; 3-1).

Une régularité sportive paradoxale

Parmi l’ensemble des membres récurrents du « Top 6 - DFML » entre 2006-2007 et 2011-2012, Arsenal fait ainsi figure d’anomalie, tel un petit poucet dans le gotha du football européen.  En effet, sur cette période, le club des Gunners présente un palmarès... vierge, alors que les cinq autres institutions qui l'accompagnent régulièrement dans ces hautes sphères – Real Madrid, FC Barcelone, Bayern Munich, Manchester United et Chelsea FC – accumulent les titres, gagnant toutes au moins deux compétitions « majeures » (championnat ou C1) sur ces six saisons, n’étant, certes, pas toutes confrontées à une concurrence de même densité au sein de leur patrie.  

Justement, au niveau national, Arsenal est le seul club à ne pas avoir quitté le « Big Four » de la Premier League dans l’espace-temps 2005-2015, y présentant un classement moyen de « 3,45» bien meilleur que celui de Manchester City (« 6,36e »... mais « 1,80e » de 2011 à aujourd’hui) ou Liverpool (« 4,82» , camarade d’infortune dans la quête de couronne) et pas ridicule vis-à-vis de celui, commun, de MU et Chelsea (« 2,27»), titrés respectivement à cinq et quatre reprises (les deux autres sacres revenant à Man City).

Cette constance impressionnante se manifeste également en Ligue des Champions (voir graphique ci-dessous) où les hommes d’Arsène Wenger butent sur l’entrée dans le « Top 8 » continental depuis maintenant 2010. Souvent bouté hors de la grande coupe d’Europe par un favori à la victoire finale (FC Barcelone en 2011, Milan AC en 2012, Bayern Munich en 2013 et 2014), Arsenal a cette année subi un camouflet plus important, en se heurtant à l’AS Monaco.


(A la lecture de ce schéma, en comparant ces deux courbes, on peut constater que la croissance de celle concernant des facteurs financiers a été suivie de près par celle se limitant au champ sportif, dans un premier temps (deux flèches, une bleue, une rouge, ascendantes) avant que l’inverse ne se produise (deux flèches, une rouge, une bleue, descendantes). Une hypothèse découle de ce constat : Le « boost monétaire » (voire concernant d’autres leviers) du nouveau stade aurait-il permis une courte embellie sportive sur la scène continentale, avant que la fin de celle-ci n’empêche Arsenal de consolider sa position en terme d’argent récolté ?) ERRATUM, Arsenal a terminé la PL 2014-2015 à la 3e place.

Stabilité en coulisse (Wenger entamant bientôt sa 20e saison à la tête du groupe professionnel) et sur le rectangle vert sont plusieurs ingrédients qui donnent du crédit à une progression sous-jacente... sauf que celle-ci se fait attendre, ou du moins peine à se manifester concrètement (les trois compétitions remportées depuis 2014 - la FA Cup par deux fois et le Community Shield - stoppant tout de même l'hémoragie de saisons blanches). Alors, où est-ce que le bât blesse ?    

Des choix d’effectif qui interrogent

Outre par les blessures qui touchent ses joueurs avec une grande récurrence (2) – ce qui, avec son abonnement aux places d’honneur, en fait une cible facile sur les réseaux sociaux – si le club d’Arsenal persiste  à se montrer incapable de franchir le cap qui le sépare, entre autre, du titre de « Champion d’Angleterre », c’est par le biais d’une politique de recrutement qui peut laisser perplexe.

D’abord très timide sur le marché des transferts - remplissant ainsi parfaitement les directives du Fair-play financier (dont le maître mot est, grossièrement, de ne pas dépenser plus que ce que l’on gagne) - Arsenal s’est lancé depuis peu dans une campagne de recrutement importante... mais, pas forcément bien ciblée.

Lukas Podolski, parti depuis, Santiago Cazorla, Olivier Giroud (en 2012), Mesut Özil (2013), Alexis Sanchez, Danny Welbeck (2014) etc. autant de joueurs recrutés durant les trois dernières années, pour compléter un secteur offensif certes orphelin de Fabregas (départ en 2011) et van Persie (2012), mais déjà bien fourni (Rosicky, Chamberlain, Walcott...). Soit une frénésie inattendue répondant au syndrome de l’empilement des talents.

Non pas que le secteur défensif des Gunners soit d’une indigente faiblesse permanente tout au long de l’année (au nombre total de buts encaissés, Arsenal se défend d’ailleurs plutôt bien) mais il souffre avec récurrence du « mal des grands matchs », la fébrilité gagnant sensiblement ses rangs lors des confrontations directes avec les autres prétendants à une qualification ou à un bon classement.

Plus précisément, la charnière Mertesacker - Koscielny n’offre que peu de garanties (par la lenteur du premier et la propension du second, à concéder de nombreux penalties). Rien de catastrophique pour un outsider... mais une réelle faiblesse qui pourrait bien être rédhibitoire pour se muer en favori et qui tend surtout à prouver que la hiérarchisation des priorités, à l’heure de se renforcer, est tout sauf optimale.  

Une plus-value sportive mieux réfléchie sera nécessaire, pour que le club du district d'Islington regagne ses galons de potentiel Champion. Dans cette optique, la venue de l’expérimenté gardien Petr Cech résonne comme un bon point (même s’il admet un certain illogisme, après celle d’Ospina l’été dernier) le choix d’un tel renfort pouvant paraître plus pertinent que le fait d’accumuler les joueurs créatifs dans une zone du terrain déjà pourvue en bons manieurs de ballon. Mais le chemin est encore long pour qu’Arsenal fasse de l’Emirates Stadium le bastion de sa gloire, accueillant ses succès les plus flamboyants et non plus le simple vecteur de son espoir, berceau de ses revers les plus frustrants.

En effet, depuis dix ans, les Cannoniers s'octroient la manne financière susceptible de les pourvoir en munitions, mais, entre prudent assainissement pécuniaire et stratégies de recrutement particulières, les dirigeants d'Arsenal ne se donnent pour l'instant pas les armes pour rivaliser à l'heure de remplir leur armoire à trophées. Sauront-ils un jour mieux dépenser  (la venue de Cech aurait tendance à en attester) ? Patience et prévoyance finiront-t-elles par payer ? Possible... autant qu'impossible à affirmer. Les plus solides édifices se construisent dans la durée et peuvent rimer avec victoires et pérennité... mais les stables fondations ne sont qu’une nécessité, si elles ne sont pas mises au service d’un projet bien ficelé, elles ne sont d’aucune utilité.

Alors, le retour d'Arsenal, fourmi dans cet univers de cigales, parmi les clubs appelés à régner, n'est-il qu'une Chimère ou une imminente réalité ? 

Simon Farvacque

*http://www.hat-trick.fr/lhistoire-des-stades-londoniens-arsenal-episode-1/

(1) http://sport.gentside.com/arsenal/les-invincibles-d-039-arsenal-elus-meilleure-equipe-de-premier-league_art31375.html

(2) Les blessures et Arsenal.. http://www.lequipe.fr/Football/Actualites/Arsenal-champion-des-blessures/506961

Annexes :

http://www.mensquare.com/onzemondial/c1-c3/arsenal-eleve-assidu-en-c1

http://www.sportsmarketing.fr/arsenal-renouvelle-avec-emirates/

Pour consulter les archives du classement "Deloitte Football Money League" et les dossiers complets (en anglais) :

http://www.vanderbilt.edu/econ/faculty/Vrooman/DeloitteFootballMoneyLeague2005.pdf

http://www2.deloitte.com/content/dam/Deloitte/na/Documents/audit/gx-deloitte-football-money-league-2006.pdf

https://www2.deloitte.com/content/dam/Deloitte/global/Documents/Audit/gx-deloitte-football-money-league-2007.pdf

http://www2.deloitte.com/content/dam/Deloitte/global/Documents/Audit/gx-deloitte-football-money-league-2008.pdf

http://www2.deloitte.com/content/dam/Deloitte/global/Documents/Audit/gx-deloitte-football-money-league-2009.pdf

https://www2.deloitte.com/content/dam/Deloitte/global/Documents/Audit/gx-deloitte-football-money-league-2010.pdf

http://www2.deloitte.com/content/dam/Deloitte/global/Documents/Audit/gx-deloitte-football-money-league-2011.pdf

http://www2.deloitte.com/content/dam/Deloitte/uk/Documents/sports-business-group/deloitte-uk-deloitte-football-money-league-2012.pdf

https://www2.deloitte.com/content/dam/Deloitte/global/Documents/Audit/gx-deloitte-football-money-league-2013.pdf

https://www2.deloitte.com/content/dam/Deloitte/global/Documents/Audit/gx-deloitte-football-money-league-2014.pdf

http://www2.deloitte.com/content/dam/Deloitte/ch/Documents/consumer-business/ch-en-consumer-business-football-money-league-2015.pdf 

Publié le 10.07.2015


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