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Grand Stade de Rugby : projet viable ou utopie ?

En 2010, la Fédération Française de Rugby (FFR) annonçait le projet de construction de son propre écrin. Six ans plus tard, les travaux n'ont toujours pas commencé. L'antre du XV de France verra-t-elle le jour ?

Samedi 19 mars 2016. Le XV de la Rose s'impose 31-21 en terres françaises. Les Anglais parachèvent ainsi leur premier Grand Chelem depuis 2003, tandis que les Français poursuivent leur terrible série (six ans sans remporter le Tournoi), inédite depuis le premier succès tricolore en 1954. C'est peut-être l'une des dernières fois que les deux ennemis intimes s'affrontent au Stade de France. Peut-être pas. 
Le modèle économique de demain ?

Propriété de l'Etat, l'enceinte est administrée par un Consortium dirigé par Vinci et Bouygues (contrat de concession, valable jusqu'en 2025) et la FFR n'en est que locataire. Sur la période 2013-2017, pour la fédération, le coût du loyer s'élève à 23M d'euros, soit 1.15M par rencontre (contre 2.8M lorsque le précédent accord était en vigueur). 

Depuis 2010, lasse d'être "SDF", elle cherche à devenir propriétaire de "son" stade, comme le sont la RFU (Twickenham) et la WRU (Principality Stadium, ex-Millennium Stadium), ses homologues anglais et gallois. Si la construction serait coûteuse, l'objectif est de l'amortir sur le long terme en gagnant en autonomie financière, via cette nouvelle source de revenus propres. 

Première phase du projet, la "pré-étude" - l'observation d'autres équipements sportifs (aux Etats-Unis et en Europe) et l'établissement d'un business plan - marque le début d'un long processus (voir "dates clés"). Processus au sein duquel la localisation du futur bastion tricolore joue un rôle majeur. 

Débat public : l'argument de la consultation

En 2012, c'est le site d'Evry Centre Essonne / Ris-Orangis qui est choisi.  Emplacement d'un ancien hippodrome, il est défini comme "parfait pour accueillir le jardin du rugby français" car bénéficiant "d'une remarquable desserte grâce à son positionnement au coeur d'un bassin de vie de 540 000 habitants". 

L'année suivante, la FFR confie à "Populous – Ateliers 2/3/4" la tâche de la conception architecturale du stade et lance le dialogue compétitif entre les potentiels constructeurs. Puis, elle et les acteurs du territoire concernés saisissent la Commission Nationale du Débat Public (CNDP), en vertu de l'enjeu socio-économique que la construction du "Grand Stade" représente pour le pays. S'ensuit un temps d'échanges (sept réunions et sept "rencontres" entre le 7 novembre 2013 et le 21 février 2014) à l'issue duquel la Commission Particulière du Débat Public (organisme indépendant) n'oppose pas d'avis contradictoire, mais identifie plusieurs points à approfondir. La finalisation du plan de financement et l'accessibilité du site, qui passe par une modernisation des transports publics, sont les deux problématiques majeures soulevées.

Mais si la FFR peut se targuer d'avoir soumis, comme l'ampleur du projet l'y obligeait, l'édification de son "bébé" à la discussion, elle a également sollicité de l'aide pour l'ériger. 
Le bide de l'appel à la participation 
Au début de l'année 2014, en parallèle du débat évoqué, elle lance un "Emprunt Obligataire Debenture". Ce dispositif inédit en France, a pour but de lui permettre de récolter des fonds (entre autres et notamment) pour la construction de son fameux écrin. 499 titres sont mis en vente, au prix de 10 000 €. Ils offrent un statut d'acquéreur privilégié et prioritaire pour les matchs du XV de France et la finale du Top 14 pendant quinze ans, puis font l'objet d'un remboursement à l'échéance pendant 35 ans (après 50 années, donc). Voir vidéo ci-jointe.

http://www.dailymotion.com/video/x1apfz0_lancement-emprunt-obligataire-ffr_sport

Mais l'objectif de 4.9M d'euros est loin d'être atteint. Seuls 35 titres trouvent preneur - les places en tribune pour lesquelles ils octroient un "droit" ne seront pas gratuites le moment venu : c'est une garantie de droit d'achat... qui revient à "payer pour avoir le droit de payer", ce qui, culturellement, n'est pas ancré dans les mœurs français.
La récolte finale - 350 000 euros - servira à effectuer des travaux au CNR de Marcoussis et sera qualifiée d'"insatisfaction comptable" par Christian Garnier, trésorier de la FFR pour qui ce résultat décevant était "attendu", prévisible. 

Relative transparence

Aujourd'hui, le projet semble gelé et n'a que peu avancé. Via un site qui lui est dédié, la FFR joue la carte de la proximité, tente de susciter un sentiment d'appropriation chez les fans de l'équipe de France.

On y apprend par exemple que le choix du groupement (ICADE-BESIX-COFELY GDF SUEZ), responsable de la construction, de la conception, de la gestion (entretien et maintenance) du stade a été acté le 14 novembre 2014, mais que le contrat n'est pas signé. Les discussions quant à la signature de ce contrat sont "dans la dernière ligne droite",  et l''objectif d'un coût global de construction de 600M d'euros est en passe d'être atteint". Informations réelles, certes, mais imprécises, qui ne sont accompagnées d'aucune précision lorsqu'elles sont questionnées par e-mail. 

Ce site propose un aperçu du projet, global (chronologie, données financières, visuel etc.) mais non exhaustif. Parmi les interrogations qui subsistent : l'impact de la disparition de la Communauté d'agglomération Évry Centre Essonne (CAECE) n'est pas pleinement évoqué. 

Territoire en pleine mouvance

Celle-ci a été intégrée à Grand Paris Sud Seine-Essonne-Sénart, qui regroupe 337 000 habitants. Ce nouvel établissement public de coopération intercommunale (EPCI) né de la loi MAPTAM et inauguré au début de l'année 2016 vient tout juste de prendre forme (Francis Chouat en a été élu président le 14 mars). 

Le Grand Stade de Rugby s'inscrira-t-il dans sa politique ? Les décisions et prises de position préalables de la CAECE sont-elles remises en cause ? Sur le site consacré au projet, l'évolution territoriale n'est abordée que par un angle positif : "Grand Paris Sud suscitera plus de force, fédérera un nombre plus important d'acteurs venus d'horizons divers...". Pour l'instant, prime à la continuité, mais le "soutien unanime", ici mentionné, pourrait n'être plus aussi absolu.

D'autres questions restent en suspens. Le plan de rentabilisation du stade est détaillé, appuyé d'une formule "le projet est reconnu par plusieurs experts financiers comme économiquement viable", mais sujet à débat.

Juste évaluation de la zone de chalandise ?

La Fédération table sur l'accueil de 17 à 20 événements par an (pas uniquement sportifs) dont 5 à 6 matchs du XV de France, pour exploiter au mieux la multifonctionnalité d'une enceinte voulue compatible avec cet usage pluriel. 

Dominique Charrier, économiste consulté lors de la phase de pré-étude... mais plus sollicité depuis qu'il a fait part de ses réticences, se montre sceptique : "pour construire son propre stade, il faut avoir les reins très solides (...) je ne sais pas si une fédération  française en est capable (...) je pense que celle de rugby, en tout cas, n'en a pas les moyens". 

Au-delà des caractéristiques intrinsèques de cette potentielle arène géante (82 000 places prévues), c'est la concurrence (sur les rencontres sportives ainsi que sur les manifestations culturelles) avec le Stade de France qui serait à appréhender. Ce dernier connaissant déjà des temps compliqués : la cohabitation ne serait-elle pas vouée à un échec partagé ? Gare au spectre de l'éléphant blanc. Il n'est pas seul à émettre de telles réserves. 

La Cour des comptes identifie deux risques

Alors que le ralentissement des démarches présage de certaines objections internes, un avis extérieur et ô combien influent se montre peu rassurant. La Cour des comptes, à la demande du Ministère de la ville de la jeunesse et des sports, s'est en effet penchée sur les répercussions du Grand Stade s'il sortait de terre, tel qu'il est aujourd'hui imaginé par la FFR (rapport publié le 29 février 2016). 

Didier Migaud, premier président, invite la fédération à "actualiser et clarifier des paramètres du plan d’affaires qui datent de 2010/2011" et s'inquiète du financement du projet, soutenu par le département de l'Essonne. 

Le nœud du problème restant l'impact négatif que le Grand Stade aurait sur le SDF (d'autant plus que l'Arena 92, mise elle aussi sur sa pluridisciplinarité, et sur l'organisation de concerts). La fragilisation de son modèle économique entraînerait des compensations étatiques et le fait d'écorner le label "Stade de France" serait néfaste pour l'image du sport français et donc pour la candidature parisienne aux JO 2024*.

La future antre du XV de France soumettrait ainsi l'Etat à deux problématiques : l'une financière, et l'autre patrimoniale, à laquelle la Cour des comptes propose deux (vagues) recommandations : adopter une position qui éviterait les charges budgétaires supplémentaires et permettrait d'anticiper/limiter la dévaluation du SDF ; echercher, avec la fédération, une alternative au projet. 

Proche changement de présidence 

Cette recherche qui devrait durer jusqu'en avril 2017, ne se fera peut-être pas avec les mêmes interlocuteurs. En effet, l'élection à la présidence de la FFR est prévue pour le 6 décembre prochain. Pierre Camou (en poste depuis 2008, deuxième mandat en cours), Bernard Laporte, Pierre Salviac et Alain Doucet sont pour l'instant les quatre candidats déclarés. 

Leurs attitudes vis-à-vis de ce "chantier" pourraient différer et ce scrutin marquera peut-être un virage décisif dans l'édification/ou non du Grand Stade de Rugby. Celui-ci est en tout cas bien loin de voir les siens s'enflammer aux rythmes des exploits du XV de France. 

Simon Farvacque 

*Ceux-ci, qui auraient pu servir les intérêts de la fédération (l'organisation d'un si grand événement favorise parfois la construction d'équipements sportifs), devenant au contraire un - énième - frein au dossier. 

Sources :

http://www.francetvsport.fr/nouvelle-convention-entre-la-ffr-et-le-stade-de-france-165783

http://www.rugbyrama.fr/rugby/xv-de-france/2012-2013/ffr-seulement-35-titres-d-emprunt-obligataire-vendus-sur-499-proposes_sto4174484/story.shtml

http://www.lequipe.fr/Rugby/Actualites/La-cour-des-comptes-epingle-le-projet-de-grand-stade/638802

Publié le 24.03.2016


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