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Sporthinker
Un rendez-vous hebdomadaire pour tous les passionnés de sport.

Entretien avec Elimane Hanne,

une vie au-delà du sport de haut niveau 

Dimanche 30 novembre, 14h36, Paris sommeille. La « ville lumière » est relativement calme à l’aune de l’agitation quotidienne qui la caractérise en semaine. L’automne jusqu’ici plutôt doux et clément se montre soudainement plus piquant, en cette veille de  décembre, et jette sur la capitale française le voile d’un temps sec et frigorifiant. Mais si l’atmosphère est maussade… le ton est enjoué, lorsqu’Elimane Hanne, souriant, accepte de se confier dans un cosy café. En plus de nous présenter ses objectifs à court et moyen termes, le Champion de France indoor 2013 (sur 400 m), à travers le partage de son expérience, nous raconte son cheminement personnel et soulève plusieurs problématiques du sport de haut niveau.


Bonjour Elimane, quel parcours as-tu emprunté pour devenir aujourd’hui l’un des meilleurs athlètes français de ta discipline, le 400 m.

Bonjour, mon parcours est un peu long. J’ai commencé à faire vraiment du haut niveau, en junior, en 2006. En fait c’est vraiment le début : j’ai fait mes premières compétitions internationales, les championnats du monde junior, avec le Mali _ parce qu’à l’époque je courrais pour le Mali avant de courir pour la France _ c’est là où tout a commencé pour moi. Je m’entraînais trois ou quatre fois par semaine et j’avais de bons résultats. C’est à partir de là que j’ai décidé d’en faire mon métier. Pour cela, je suis parti aux Etats-Unis, en 2008 et je me suis entraîné en Floride, avec Dennis Mitchell. C’est là que j’ai appris ce qu’est l’athlétisme de haut niveau, comment on s’entraîne, comment on gère sa vie sportive, sa vie extra-sportive. Dennis Mitchell, médaillé olympique en 1996 (et 1992), avait un bon groupe d’entraînement. C’est en m’entraînant avec eux et en travaillant avec eux que j’ai appris ce qu’était le haut niveau et tout ce qu’il demandait comme travail.
Ok. Cette émulation avec des athlètes de bon niveau ça t’a aidé à progresser ? J’imagine que vous vous tiriez mutuellement vers le haut.
Oui, voilà. Les entraînements étaient vraiment durs, j’étais le plus jeune du groupe et j’ai énormément appris en m’entraînant avec eux. C’est vrai que les deux années que j’ai faites là-bas ne m’ont pas servi, réellement, au niveau chronométrique, mais c’est deux ans après être rentré des Etats-Unis que j’ai vraiment explosé _ c’est là aussi que j’ai changé de nationalité et commencé à courir pour la France _ et réalisé mes meilleurs chronos.
  Ok, et depuis tu as bien progressé. Quels sont d’ailleurs tes objectifs pour la saison à venir ? La barre des 46 secondes, par exemple, ça fait partie des objectifs ? (son record est, au 30 novembre 2014, de 46s09).
Oui [il sourit]. Depuis 2010, je cours en 46 ! Quand on regarde bien, c’est énorme. Parfois c’est énervant d’être aussi près des 45 et de ne pas descendre… C’est vrai qu’au début, ça me tracassait énormément d’être là, d’être coincé à 46. Mais bon, maintenant je me dis que si un jour je dois faire 45 : je ferai 45. Si je ne dois pas le faire : je ne le ferai pas. Je relativise les choses et je continue toujours à m’entraîner sans vraiment y penser…
 

D’accord. Tu as 26 ans, vis-à-vis de ta carrière, tu en es où, déjà au sommet ? Ou tu te vois encore une marge de progression dans un, deux, ou trois ans ?

Je pense que j’ai toujours une marge de progression parce que tous les ans … c’est ça qui est bizarre avec moi. Même quand j’étais aux Etats-Unis, pendant deux ans, je ne progressais pas en compétition, mais en entraînement je progressais énormément. Un an après, j’ai explosé mon record de plus d’une seconde ! Depuis trois ans, c’est la même chose qui est en train de se passer. Tous les ans je progresse en entraînement, mais en compétition je ne progresse pas.
Et ça paye, plus tard.

Voilà, ça paye plus tard. Donc je pense que tout va dépendre de moi. Si j’ai envie de continuer à faire du haut niveau, je pense que j’ai une marge de progression, mais si je me dis : « Ok, demain j’arrête » ou si je n’ai pas envie de continuer, je ne progresserai pas. Tout est une question d’envie et de volonté.
 

Justement, tu te projettes un peu, ou tu ne sais pas combien d’années tu te vois encore pratiquer l’athlétisme à haut niveau ?
[Hésitant] Si, je me projette… mais bon, pour l’instant je préfère garder ça pour moi. [Rires]
Pas de problèmes [rires]. Mais, par exemple, les JO 2016 font partie de tes objectifs ?

Oui, ils en font partie.

Sinon, en ce qui concerne la pratique de ta discipline en particulier, on parle souvent du 400 m comme d’une « distance infernale », à mi-chemin entre vitesse et endurance. Tu penses vraiment que c’est la distance la plus dure pour cette raison ?

Ouais, c’est la distance la plus dure au niveau mental et au niveau physique. On doit travailler la vitesse, l’endurance, la résistance-vitesse etc. ça demande énormément de travail. Ce n’est pas parce que je fais du 400 que je le dis : c’est vraiment la plus dure.

Tu te verrais pratiquer une nouvelle discipline, tester une nouvelle distance au cours de ta carrière, dans quelques années… ou pour toi c’est « 400, jusqu’à la fin » ?

Non, 400 jusqu’à la fin. J’aime bien le sprint. J’aurai pu être bon en sprint, je faisais partie des meilleurs…
Mais ça reste plutôt un exercice pour toi. 100 et 200 pour gagner en vitesse pour le 400, mais pas un objectif en soi ?
Voilà, exactement.
 
(L’athlétisme de haut niveau)  
 

« Je me suis dit : ‘’ça va être un tremplin pour moi … ‘’ »

Tu nous as parlé de ce que tu as appris aux Etats-Unis, sportivement, mais aussi en termes de gestion de l’après-carrière. Cette notion de double-projet, tu l’as dans ta tête depuis longtemps ?
Depuis toujours. Depuis très jeune ! En fait, même avant… avant de faire de l’athlétisme, je savais ce que je ferai après ma carrière. C’est à dire entreprendre, être chef d’entreprise. C’est ce que j’ai toujours voulu depuis tout petit. Quand j’ai commencé l’athlétisme de haut niveau, je me suis dit : « ça va être un tremplin pour moi, pour m’ouvrir d’autres portes ».
Justement peux-tu nous parler de ton projet, ou de tes projets, en parallèle du sport ?
En fait, j’ai créé, il y a un an, Fulbe & Khem*, une entreprise spécialisée dans l’élaboration et la distribution de compléments alimentaires à base de plantes naturelles et bio qu’on appelle super-aliments. Ce sont des plantes, des algues etc. qui possèdent tous les nutriments dont le corps a besoin, à de très hautes doses. Par exemple, quand on vous dit de manger cinq fruits et légumes par jour : vous allez les trouver dans un seul super-aliment qui contient ces nutriments essentiels. Depuis un an, je travaille sur ce projet-là, avec mon entraîneur, qui s’appelle Hervé Stéphan, qui a été aussi chercheur chez Arkopharma _ qui est un des plus gros laboratoires français _ mais aussi chercheur à l’Institut National du Sport de l’Expertise et de la Performance, par lequel passent tous les meilleurs sportifs français.
D’ailleurs, tu y es passé à l’INSEP toi ?
Non. Jamais. Ça a vraiment été un choix, je n’ai jamais voulu rentrer dans des grosses structures comme cela, j’ai toujours refusé. L’athlétisme de haut niveau je l’ai appris avec le système africain et le système américain.
 

«En France, on a tellement peur du dopage, qu’on préfère ne pas parler de la nutrition »  

En parlant de choix, celui de la teneur de ton projet, en complément du sport _ justement, celui des compléments (alimentaires) _ tu l’as fait par opportunités ? C’est dans ce domaine que tu as eu l’occasion de t’insérer dans le monde des entreprises ou cela te tenait-il à cœur que ce soit à travers la nutrition et l’alimentation que tu mènes ce double-projet ?
L’athlétisme m’a permis de réaliser ce projet-là, parce que la personne qui m’y a énormément aidé c’est Hervé (son coach). C’est donc parce que j’ai eu des opportunités grâce à l’athlétisme…
Est-ce d’ailleurs lui qui t’a sensibilisé à l’importance de bien s’alimenter pour être un bon sportif ?
Non, c’est aux Etats-Unis que j’ai vraiment appris la nutrition. Parce qu’en France, on a tellement peur du dopage, qu’on préfère ne pas parler de la nutrition.
C’est un peu tabou.
Voilà, c’est tabou, alors que je pense que c’est ça qui est dangereux ! Il faut en parler, il faut faire comprendre aux athlètes ce qui est dopant et ce qui ne l’est pas, ce qui est dangereux et ce qui ne l’est pas. Après, à partir de là, tout le monde est libre. Aux Etats-Unis, c’est là que j’ai appris ce qu’est la nutrition et à faire la différence entre bien s’alimenter pour le sport et se doper. A partir de là, on peut éviter plein de choses, plein de problèmes…
C’est vrai que c’est un sujet que l’on n’ose pas forcément aborder. On préfère ne pas en parler : se voiler la face peut être plus simple que creuser le problème.
Oui et moi je pense qu’il vaut mieux traiter le problème et expliquer aux athlètes ce qu’est le dopage.
Ce nouveau projet te tient à cœur…

[Affirmatif] Oui.

 
 
Mais sans cela, pourrais-tu vivre de l’athlé… uniquement de l’athlé ?                                     On peut vivre de l’athlé, uniquement de l’athlé pendant sa carrière… mais après sa carrière, c’est impossible. Je pense qu’il faut savoir ce que l’on veut dans l’athlétisme. Si on veut faire du haut niveau pour gagner de l’argent : il y a des systèmes pour ça. Si on veut faire du haut niveau pour avoir des titres et ensuite, à la fin de sa carrière, aller travailler comme monsieur-tout-le-monde … ça aussi on peut le faire. Quand on veut gagner de l’argent dans l’athlétisme _ et ça, ce n’est pas facile _ il faut être parmi les meilleurs et il faut aller le chercher ! Il faut chercher l’argent,  faire énormément de meetings : gérer sa carrière comme un businessman.
Si tu devais, à l’heure actuelle, te retourner vers l’arrière et voir tout ce que tu as réalisé : sportivement, ce serait quoi ton meilleur souvenir ?
Ah, mon meilleur souvenir ! [Enthousiaste] Contrairement à ce que beaucoup de gens pensent, ce n’est pas mon titre de Champion d’Europe à Bercy (en 2011, sur 4 x 400 m aux CE indoor) mais mon titre de Champion de France 2013 à Aubière.
C’est un titre que tu as acquis individuellement…
Oui, mais ce n’est pas pour ça. C’est parce que ça a été très, très dur pour moi, très compliqué pour moi. C’était une période de ma vie où ça n’allait vraiment pas, ni dans ma vie sportive, ni dans ma vie professionnelle. Ce que beaucoup de gens ne savent pas c’est qu’après notre titre de Champion d’Europe à Bercy, le collectif 4 x 4 a eu beaucoup de problèmes avec la fédération, avec pas mal de gens… on a été mis de côté. Pendant deux ans on a été boycotté, on n’avait pas de soutien. Moi de mon côté aussi : j’ai eu une très grosse blessure juste un an après, en 2012.
 

« Ah, mon meilleur souvenir ! […] mon titre de Champion de France 2013 à Aubière. »

  Donc, émotionnellement parlant, c’est le souvenir le plus fort.    
 

 Ça a été le plus dur. Ma préparation pour ces Championnats de France a été très compliquée : financièrement, ça n’allait pas, ma famille me mettait la pression pour que j’arrête l’athlétisme. Je n’avais plus de soutien de personne, je me suis vraiment retrouvé seul… [Ému] j’ai effectué ma préparation en Afrique dans une salle où il n’y avait même pas de banc de musculation. Vivre tous ces moments durs et arriver aux Championnats de France avec le 8e temps et ensuite terminer premier ! [Sourire rêveur]


Terminer sur la première marche du podium, j’imagine à quel point ce devait être bon ! Merci Elimane, de nous avoir accordé un peu de ton temps.
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Faire du sport son gagne-pain, c’est le rêve de bon nombre de gamins. Comme Aznavour qui, à 18 ans, se « voyait déjà en haut de l’affiche » des centaines de petits chérubins s’imaginent très tôt faire la Une des journaux. Mais le sportif ou l’athlète dit « de haut niveau » _ terme qui présente un vrai enjeu de définition** et ne rime que rarement avec profession _ est un produit périssable, l’outil de sa propre pratique ou de son employeur dont il sert parfois même de chair à canon. Il doit donc penser à son avenir autant qu’à son présent car c’est en amont que son après-carrière se construit.

Cette prise de conscience est réelle, ne date pas d’hier, et paraît croissante _  l’INSEP, dans la lignée de son rôle historique, affiche fièrement le slogan : « je vis, je me forme, je m’entraîne » alors que Louis Saha, ancien footballeur, lance Axis Stars, une plate-forme numérique destinée à faciliter la gestion de la carrière des sportifs de haut niveau et à les responsabiliser _ mais certains problèmes subsistent et la question de l’épanouissement de ces derniers semble de plus en plus prégnante… est-elle pour autant insoluble ?

Selon les pratiques, leur fonctionnement et leur notoriété, les problématiques peuvent différer. Par exemple, en sport collectif, la complexité résulte en partie du système de formation des clubs professionnels, dont les centres sont régis par différents enjeux (progression sportive du joueur, gages de sécurité apportés à ses parents, renforcement de la cohésion de groupe, scolarité en petit comité) qui aboutissent à une illusion de socialisation, en vase clos et en marge de la société.

 

Ce biais ne représente qu’un pan de l’ensemble de ceux auquel le sport moderne peut conduire (appât du gain, culte du corps exacerbé, décalage avec la « réalité ») et effrite clairement le mythe du caractère fédérateur de ce dernier… qu’il ne faut pas non plus diaboliser. Il peut ainsi être émancipateur et bénéfique, à condition d’en faire un vecteur d’ouverture sur les autres et de le mettre au service d’un objectif identifié. Elimane Hanne peut témoigner de cette opportunité qu’il a su provoquer.

En effet, en plus de performer sur la piste, Elimane pénètre le monde de l’entreprenariat et prend sa vie en main. Il ne suit pas machinalement le trajet, préconçu, qui pourrait être le sien et trace son propre chemin. Puisse son exemple servir aux jeunes d’aujourd’hui qui aspirent à être les champions de demain : le sport de haut niveau peut être une finalité, mais aussi un tremplin ou un levier. Décider du sens que l’on veut lui donner est un choix à faire et à assumer, un choix qui appartient à chacun,  une décision à prendre pour ne pas devenir un simple spectateur de son destin, pour en être à la fois l’acteur et l’écrivain.

 

                                                                       Farvacque Simon

* site officiel http://www.fulbeandkhem.com/ et page Facebook https://www.facebook.com/pages/Fulbe-Khem/277722462431615?fref=photo

** http://www.sports.gouv.fr/pratiques-sportives/sport-performance/Sport-de-haut-niveau/

Source: Le journal l’équipe du 26 novembre 2014

Publié le 07/12/2014

 


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