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ASO, Velon, UCI... luttes de pouvoir, conflits d'intérêts et lobbies


ASO, Velon, UCI... luttes de pouvoir, conflits d'intérêts et lobbies

Le 18 décembre dernier, en annonçant via un communiqué sa décision « d'inscrire ses épreuves au calendrier Hors Classe pour la saison 2017 », Amaury Sport Organisation (ASO) a témoigné de son profond désaccord envers la politique de l'Union Cycliste Internationale (UCI), faisant éclore au grand jour une querelle latente. Querelle que le monde du vélo couvait depuis plusieurs mois et qui s'inscrit dans un système dont la pluralité des parties prenantes et des enjeux fait la complexité. 

C'est à Abu Dhabi, et non sur Paris-Tours, que Peter Sagan a étrenné son maillot arc-en-ciel, la saison passée. Tout un symbole. La mondialisation du cyclisme, qui a d'abord admis une dimension vertueuse, par l'éclectisme qu'elle apportait, tend de plus en plus à le dénaturer. Cette évolution, qui se traduit notamment par l’attrait nouveau du golfe Persique, témoigne de la crise identitaire qui guette le vélo, sport dont l’expansion territoriale à des fins lucratives répond à des intérêts multiples, qui peuvent être convergents… mais qui ne le sont pas nécessairement. Chacun défend sa position.

Les instances, (dont l’UCI est la principale), les fédérations (dont les majeures sont représentées, au sein du comité directeur de l’UCI), les organisateurs (ASO, entre autres) et les équipes (parfois sous une même bannière, voir suite) se mènent une guerre de l'ombre, entre alliances et pressions, au sein de laquelle les coureurs, pourtant principaux acteurs, manquent de leviers d'action… mais peuvent tout de même se manifester (détails ci-après). Récemment, ce sont les aspirations des plus grandes équipes du peloton qui ont été l’élément déclencheur d'une redistribution des cartes.

Velon, les grosses écuries font front 

S’estimant lésées par le modèle financier actuellement en vigueur dans le cyclisme mondial, onze formations du World Tour (aucune française) se sont regroupées au sein d’une « joint business venture » appelée Velon, en novembre 2014*. Pour Oleg Tinkov (propriétaire de Tinkoff Team), ce lobby, dont il est le principal instigateur, peut « faire franchir un palier au vélo ». Il revendique un poids décisionnel plus important, arguant que les investisseurs sont indispensables à l’économie du cyclisme, considérant qu’ils doivent, en cette vertu, participer aux négociations et au partage des droits médiatiques des différentes épreuves, par exemple. Pour lui, les organisateurs ne sont rien sans les participants et la mainmise qu’ils gardent sur les retombées financières de leurs courses est donc inéquitable.

Si le milliardaire russe se montre aujourd’hui défaitiste, envisageant de mettre un terme à son engagement après 2016 « ce sera la dernière saison dans le sport, pour moi (…) J’ai réalisé que personne ne veut travailler avec moi pour changer le modèle économique du vélo. (…) j’ai essayé de trouver de nouvelles sources de revenus grâce aux droits de télévision, le merchandising et la vente de billets, mais personne ne m’a vraiment soutenu.», la vente de son équipe n’est pas encore officielle et d’autres mécènes pourraient reprendre son combat.

D’autant plus que la force de l’action commune qu’il a générée via Velon semble en mesure de faire bouger les choses. En effet, l’UCI, à défaut de répondre favorablement à l’ensemble de leurs exigences, propose aux formations phares du World Tour un fonctionnement en vase (de plus en plus) clos qui pourrait être plus à-même de leur convenir, répondant à certains codes du « sport business ».

L'UCI favorable à l'oligarchie

La réforme récemment adoptée par l’UCI (1), le 22 septembre 2015 à l’issue de la réunion du Conseil du Cyclisme Professionnel (CCP), « après plus de deux ans de dialogue et de consultation avec les parties prenantes » selon ses propres termes, offre notamment une sécurité sportive, via des baux sur le moyen terme « des licences UCI WorldTour d’une durée de trois ans seront attribuées à un maximum de 18 UCI WorldTeams pour les saisons 2017-2019 » dans l’optique d’ « encourager les investissements qui augmenteront la stabilité de la structure des équipes. ».

Elle prévoit également de remanier les systèmes de classements et le calendrier ainsi que d’accorder une importance accrue au cahier des charges des équipes (qui se compose de dix « exigences opérationnelles internes »), envisageant de rendre son respect « obligatoire », pour la saison 2017. Alors qu’il n’est actuellement que suggestif, dans sa phase « de test », il deviendrait alors une condition sine qua non à l’obtention d’une licence-WT.

Enfin, l’incorporation de nouvelles épreuves sera également régie par un cahier des charges précis « pour garantir que seuls les meilleurs événements rejoignent la série (l’UCI-WT) » et « afin d’encourager la croissance et la globalisation du cyclisme ». 

Si Brian Cookson (président de l’UCI) se dit naturellement « convaincu » par les mesures annoncées, les jugeant de plus susceptibles « d’ouvrir la porte à une plus grande innovation technologique et une plus grande implication des fans », celles-ci ne font pas l’unanimité

Lors de son assemblée générale du 20 novembre 2015, l’Association Internationale des Organisateurs de Courses Cyclistes (AIOCC) s’est ainsi prononcée pour le rejet de la réforme de l’UCI (à 77 voix sur 84).

ASO "refuse le système fermé"

L’AIOCC a également formulé une demande de réduction du nombre de coureurs par équipe (qui passerait de neuf à huit sur les Grands Tours et de huit à sept sur les autres épreuves majeures) et suggéré « la mise en place de groupes de travail pour proposer les mesures correctives qui s’imposent ». Un appel à la discussion que l’un de ses plus éminents membres, ASO, juge insuffisant. L’organisateur de la Grande Boucle a en effet pris des mesures plus strictes que compromissoires, en retirant ses épreuves (Tour de France, Paris-Nice, Paris-Roubaix, Liège-Bastogne-Liège etc.) du Calendrier-WT, pour la saison 2017 (via un communiqué daté du 18 décembre 2015), les inscrivant toutes dans la catégorie Hors Classe.

En cause, les critères de sélection des équipes et des courses que l’UCI souhaite mettre en place et que la société anonyme française réprouve ainsi en ces mots : « ASO reste attaché au modèle européen et ne peut pas porter atteinte aux valeurs qu’elle représente : un système ouvert donnant priorité au critère sportif.». Ce à quoi l’UCI a répondu, qu’elle « demeure déterminée à mettre en place les réformes qui ont été approuvées » et qui garantissent selon elle « un équilibre correct entre les intérêts de tous ».

Sportivement, l’inscription en HC des courses-ASO aurait – si elle devait être confirmée d’ici à 2017 –  un impact majeur sur les classements mondiaux, qui s’en verraient biaisés. En effet, certaines écuries de « première division » pourraient ne pas être de la partie, sur le TDF notamment, car dans l’état actuel du règlement, le nombre d’équipes-WT invitées sur une course HC ne doit pas excéder 70% du total des formations participant à l’événement (en Europe, contre 65% sur les autres circuits continentaux). Si le nombre d’équipes engagées restait le même (22) sur le Tour – ce qui est probable, sachant que le total maximum de coureurs est fixé à 200 – seules 15 escouades estampillées WT (sur 18) seraient au départ.  

Coureurs ni consultés, ni consentants 

De plus, les décisions prises par l’UCI et que fustige ASO, sont souvent celles qu’approuve le groupement Velon, auquel adhèrent plusieurs des employeurs des stars d’aujourd’hui (la SKY de Froome, la Giant de Degenkolb, la Tinkoff de Contador et Sagan etc. s’associent à ce mouvement revendicateur). Sur qui les formations feront-elles pression ? A qui choisiront-elles de se soumettre ? Accords financiers, prestige, vision à courte ou long terme etc. les facteurs susceptibles d’influer sur leur décision ne manqueront pas et, s’il est à faire, le choix n’aura rien d’évident. Les coureurs ont quant à eux pris position, via l’organe qui les représente.

Le CPA (qui défend les droits des Cyclistes Professionnels Associés) s’est ainsi fendu d’un communiqué (21 décembre) remettant en cause l’aspect de « dialogue et de consultation des parties prenantes » que l’UCI met en avant (verbatim) pour légitimer sa réforme. Il estime que les réflexions n’ont pas été menées en commun et qu’elles n’ont, par ailleurs, pas abouti à des conclusions suffisamment respectueuses de l’ADN du vélo, qu’il souhaite voir préservé, priant l’UCI de « respecter l’Histoire d’un sport qu’elle a la charge d’organiser ». Sans être prescriptif, l’avis des cyclistes est à prendre en compte, et l’UCI se voit confronté à un nouvel obstacle.

Cependant, au sein même des coureurs, qui font pour l’instant bloc face à une réforme qui n'a pas à leur être imposée, pourraient résonner des dissonances. Les coalitions sont conjoncturelles et les rivalités plus pérennes. ASO, par exemple, trouve dans le groupe RCS Sport (Rizzoli-Corriere della Sera), organisateur du Giro, un concurrent sérieux… dont la stratégie oscille et n’a rien de limpide.

Alliés de circonstance, rivaux en permanence

Double jeu. Cet été, RCS avait démontré à quel point son positionnement était fluctuent, via un communiqué évasif (2). En coproduisant le Tour d’Abu Dhabi (du 8 au 11 octobre 2015), et son plateau XXL, l’organisateur italien met un pied dans un camp, quoi qu’il en dise.  En effet, il cautionne (et profite de) l’action du Conseil des sports d’Abu Dhabi qui a signé un contrat de trois ans avec le groupe Velon, lui garantissant la présence des onze formations qui le composent (en échange d’une part des revenus de la course). L’UCI n’étant pas en reste… organisant son premier « gala du cyclisme », sur place, après la dernière étape.

Alors que Graham Bartlett, spécialiste du marketing au sein du groupement de la discorde, avait témoigné de l’aspect facilitant de la démarche « Tous les organisateurs veulent la même chose : un bon plateau. Parfois, ils négocient avec chaque équipe, là nous leur offrons la possibilité de s’assurer directement la présence de 11 grandes équipes et des meilleurs coureurs », Oleg Tinkov avait préféré s’enorgueillir du choix de RCS, publiant sur twitter : « Est-ce la fin de la domination d’ASO ? ».

Dans cette lutte à distance, RCS doit miser sur l’innovation, tant la hiérarchie Tour de France > Giro semble immuable. Plus encore que la Grande Boucle, le Tour d’Italie s’exporte : du Danemark (2012), aux Pays-Bas (2016), en passant par l’Irlande du Nord (2014) – voire bientôt par le Japon ?(3) … être frontalier de la Botte n’est pas nécessaire pour accueillir le départ de son épreuve de trois semaines.

Alors que la conquête de l’Asie s’annonce comme un enjeu stratégique majeur, dans les années à venir, de son côté, ASO, sans adopter un tel mode fonctionnement, joue aussi sur l’ouverture à de « nouvelles contrées ». Il organise ainsi les tours d’Oman et du Qatar (quand celui de Dubaï figure dans le giron de son rival transalpin)… mais reste réfractaire aux pratiques mercantiles de Velon, qui flirtent parfois avec l’illégalité.

A ce sujet, au niveau des institutions aussi, l’osmose n’est pas toujours de mise.

« Velon Addendum », un outrage à la liberté 

Le comité Directeur de l’Union Européenne de Cyclisme (UEC) s’est par exemple offusqué d’un document que les équipes du groupe Velon ajoutent aux contrats, dans un communiqué (5 décembre 2015), constatant « avec stupéfaction (…) que ce document enjoint les coureurs concernés à céder à leurs équipes un certain nombre d’attributs, tels que, notamment, le droit à l’image, le droit de propriété intellectuelle, le relevé de données personnelles… ».

En plus de saisir l’UCI sur cette question épineuse, « afin que cette dernière fasse cesser de telles pratiques… », l’UEC (dont le président, David Lappartient, est également à la tête de la Fédération Française de Cyclisme) ne manque pas de l’égratigner, remettant en cause sa passivité. L’organe européen précise que  « (ces pratiques) n’ont pu se faire à l’insu tant de l’UCI que de l’instance représentative des groupes sportifs, l’Association Internationale des Groupes Cyclistes Professionnels (AIGCP) ».

Concernant cet additif contractuel, nommé « Velon Addendum », qui est non-recevable aux yeux de la juridiction française et européenne (4), Velon rappelle, via Graham Bartlett (son directeur exécutif), que la contractualisation se fait entre une marque et un coureur, et que le groupe n’a donc joué qu’un rôle consultatif : « c’était une simple suggestion, lors de discussions. (…) Chaque contrat de coureur doit être en accord avec les lois du pays et les règlements UCI. ». Rétropédalage ? Discours de facette.

Le CPA a également réagi à cette annexe sujette à controverse, mandatant deux avocats pour en vérifier l’illégitimité. Pascal Chanteur, son président, précisant que « si un coureur signe ce texte, le CPA entamera immédiatement une action en justice. ».

Pour certains, l'univers de la Petite Reine pourrait s’ouvrir enfin à de meilleurs lendemains, après être trop longtemps resté sclérosé, voyant son potentiel économique sous-exploité, pour d'autres il est au contraire sur la voie d'une évolution néfaste, son patrimoine prêt à être bafoué... pour tous il est à un tournant de son existence. 

Simon Farvacque

* http://www.velon.cc/about/

(1) http://fr.uci.ch/pressreleases/uci-approuve-les-principes-majeurs-reforme-cyclisme-sur-route-professionnel-masculin/

(2) http://www.cyclingpro.net/velopro/road/l-etrange-communique-de-rcs-sur-la-reforme-rejetee-du-calendrier

(3) http://www.cyclingpro.net/velopro/road/le-japon-hote-du-giro-2017-c-est-premature

(4) http://www.cyclingpro.net/velopro/road/velon-franchit-il-les-frontieres-de-la-legalite

Autres sources :

https://twitter.com/olegtinkov/status/537184334092849152

http://www.sudinfo.be/1443505/article/2015-12-13/mauvaise-nouvelle-pour-l-equipe-cycliste-tinkoff-son-sulfureux-proprietaire-oleg

http://www.francetvsport.fr/cyclisme/uci-world-tour/guerre-aso-uci-les-coureurs-soutiennent-aso-312771

http://docplayer.fr/7221424-Titre-2-epreuves-sur-route.html

http://fr.uci.ch/mm/Document/News/Rulesandregulation/16/11/53/2rou-F_French.pdf

http://ftp.cyclingpro.net/velopro/road/l-union-europeenne-de-cyclisme-saisit-l-uci-contre-le-velon-addendum

http://www.franceguyane.fr/actualite/planete_sports/cyclisme-les-organisateurs-s-opposent-a-la-reforme-de-l-uci-268620.php

http://www.cyclingpro.net/velopro/road/pascal-chanteur-les-coureurs-vont-se-defendre

Publié le 22.12.2015


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