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Rugby: Les tournées..

... Sont-elles devenues une hérésie?

Samedi dernier, moins d’une semaine après que le Top 14 ait rendu son verdict, le XV de France défiait, à l’autre bout du monde, son homologue australien. Résultat ? Une cinglante défaite 50 à 23 pour des Bleus dépassés par la vitesse d’Aussies déchainés. Il y a 18 mois, au Stade de France, cet écart de 27 points était le même… mais les rôles étaient inversés (33-6 pour les Bleus). Cette troublante symétrie amène à se questionner : à quoi riment aujourd’hui les tournées ?

Un sélectionneur qui offre une cape honorifique à son petit frère, un niveau de jeu parfois affligeant, des défaites historiques, puis une mutinerie qui amènera le XV de France aux portes d’un authentique exploit… avec le mandat de Marc Lièvremont nous pensions avoir tout vu de l’improbable et de l’incongru. Seulement, depuis quelques mois, Philippe Saint-André réussit la performance d’être tout autant critiqué que son prédécesseur pourtant ô combien controversé. Des choix surprenants (Vahaamahina au poste de flanker, quid de François Trinh-Duc ?), un langage corporel pas franchement emballant et un véritable flou artistique quant au projet de jeu à moyen terme… notre Droopy national ne convainc pas grand monde.

Ce n’est pas le dernier match des Bleus qui fera taire les mauvaises langues, mais son déroulement particulier et le contexte dans lequel il s’est joué ouvrent le débat à un autre sujet… celui de l’intérêt des tournées.

Australie – France, curieuses statistiques et montée inversée non maîtrisée

Pourvue d’un joueur en manque de compétition en guise d’ouvreur, dotée d’une paire de centre aussi talentueuse que peu complémentaire et armée d’un paquet d’avants vaillant mais dépassé par la vitesse de son alter ego, l’équipe de France ne pouvait que prendre l’eau. Mais son naufrage ne se traduit qu’au tableau d’affichage, car selon les sacro-saintes statistiques les deux équipes se situent presque sur un pied d’égalité … et c’est même la sélection australienne qui peut être stigmatisée.

En effet, le XV de France a conservé 85 de ses 86 rucks, contre seulement 96/100 pour son adversaire. Les deux équipes ont fait le plein en touche (10/10 et 14/14) et ont rencontré quelques difficultés en mêlées, sur leur introduction : 3/4 pour les Bleus, 3/5 pour les Wallabies.Les australiens ont été plus pénalisés que les français (10 à 7) et moins efficaces au plaquage : avec 84% (102/122) de réussite, contre 86% (115/134) pour le XV du Coq. Pourtant le score final, de 50 à 23, est sans appel en faveur des Kangourous… et aurait même pu être plus lourd (encore 50-9 à la 72e minute de jeu).

La désacralisation de l’analyse par les statistiques est-elle l’unique enseignement à tirer de ce match ? Non, car ce dernier restera pour la France celui du fiasco de la montée inversée.

L’image d’Huget désertant son aile, pour finalement laisser échapper Folau (19e), permettant à ce dernier de déborder Nicolas Mas pour filer à l’essai, illustre l’échec de cette ambitieuse stratégie.  Après le match, Maxime  Machenaud déclarera : « On l’a bossé à l’entraînement cette semaine, ça donnait des choses positives ».

L’impitoyable sévérité du haut niveau a ramené les français, et leurs illusions, à la réalité.

Les tournées … laboratoires grandeur nature ou bricolage imposé ?

Plus globalement, les tournées sont souvent le théâtre de nombreux essais, dans tous les sens du terme. Elles ne sont pas seulement l’occasion de tester de nouveaux systèmes, elles sont aussi utilisées pour tester de nouveaux joueurs, mais derrière cet argument de la rotation de l’effectif et de la recherche de la perle rare, se cache l’incohérence du calendrier.

En effet la sélection de certains joueurs ressemble souvent à une simple répercussion de l’absence forcée des cadres de l’équipe (par exemple, Dulin et Bastareaud, absents au coup d’envoi, avaient débuté tous les matchs du  Tournoi). Dans ce contexte, honorer sa première cape est souvent un cadeau empoisonné, Félix Le Bourhis en a fait l’amère expérience lors de ce premier test.

Outre le fait de voir certaines sélections présenter des équipes et stratégies expérimentales, les tournées se caractérisent par des niveaux de préparation physique et des degrés de fatigue différents. 

… Vérité de l’instant ou tendance du moment ?

Les calendriers du Nord et du Sud se chevauchent tant qu’ils peinent à se conjuguer avec harmonie, ainsi il parait compliqué de tirer des conclusions de ces rendez-vous abordés si différemment par les deux camps.  Les championnats européens se déroulent d’Août/Septembre à début Juin, alors que le Super 15 se joue de Février à Juillet, puis fait place au Championnat des Provinces d’Août à fin Octobre.

Ainsi, lors de la tournée d’été ce sont des effectifs nordistes éreintés par une harassante saison qui affrontent des équipes sudistes en pleine préparation du Four Nations, mais encore en rodage (car n’ayant plus effectué de test depuis plus de 6 mois).

Lors de la tournée d’automne ? C’est l’inverse qui se produit, à peu de choses près.

Dans les deux cas, les pays qui s’affrontent le font avec des moyens différents et dans des optiques qui le sont tout autant. Mais il existe certaines exceptions, qui compliquent encore la situation, outre l’équipe d’Argentine qui est constituée en grande partie de joueurs ayant signé pour des clubs européens (Albacete, Fernandez Lobbe, Hernandez, Imhoff …), c’est aujourd’hui au tour des Springboks de prendre une allure cosmopolite.

En effet, alors que la politique des nations du Sud a toujours été, historiquement, de ne sélectionner que des joueurs défendant les couleurs d’équipes de leur pays, le XV sud-africain, depuis l’entorse à la règle faite en 2004 pour Percy Montgomery, ne cesse de s’ouvrir aux expatriés. Ainsi, Morne Steyn, Bakkies Botha ou encore Bryan Habana ont tous les trois été titularisés ce week-end, pour affronter le XV du monde, après avoir goutté aux joutes du Top 14 pendant toute la saison.

Il n’est donc pas aisé d’analyser les tournées : les déroutes subies, comme les déculottées administrées ne symbolisent pas toujours un véritable gouffre entre deux équipes… parfois elles ne sont que la conséquence de la main d’œuvre dont dispose les sélectionneurs, et de l’état de forme de leurs joueurs. Pourtant elles peuvent être porteuse de vraie tendance dans l’évolution du rugby, du retard pris par certains pays, en termes de modernisation et d'évolution du jeu par exemple… mais il est très compliqué de séparer le vrai du faux, de dissocier les effets de la conjoncture immédiate des grands enseignements à retenir pour l’avenir.

… patrimoine historique ou péché de gourmandise ?

Mais en plus de leur utilité purement sportive, c’est leur valeur nostalgique, voire sentimentale, qui caractérise ces épopées. Si la France a attendu 1958 pour effectuer son premier voyage dans l’hémisphère sud (en l’occurrence en Afrique du Sud), c’est dès le début du XXe siècle que la Nouvelle Zélande effectue sa première tournée, en Europe puis en Amérique du Nord (1905-1906). Les Kiwis y gagnent, non seulement 34  matchs sur 35, mais aussi leur surnom de All Blacks.

Aujourd’hui ces expéditions n’ont plus rien du périple de deux ans qu’avaient vécu les néo-zélandais, celles d’été consistent souvent à 3 tests matchs opposant les deux mêmes équipes, alors que lors de celles d’automne, les nations sudistes affrontent généralement plusieurs adversaires différents, en moins d'un mois.

Elles sont donc plus courtes mais bien plus fréquentes, n’ayant plus rien d’exceptionnel (au sens premier du terme), s’inscrivant immuablement au programme de chaque saison… mais au-delà de cette banalisation, c’est leur essence même qui semble évoluer.
Si l’importance du prestige et de l’honneur de défendre ses couleurs à l’autre bout du planisphère reste un des moteurs de leur déroulement, les tournées revêtent maintenant d’autres enjeux.

Dans l’univers médiatique du sport, le rugby émerge depuis quelques années, et ses droits de diffusion s’acquièrent de plus en plus chèrement. Les tournées, qui s'inscrivent dans le paysage télévisuels comme un événement sportif récurrent, prennent donc une dimension nouvelle. 

Mais à force de voir fleurir de toute part des tests-matchs en tout genre, le public risque de se lasser, et l’intérêt grandissant autour du ballon ovale risque de plafonner. En tout cas, Eric Bayle (directeur de la rédaction-rugby de Canal +) s’inquiète du peu d’engouement que suscite pour l’instant la tournée des Bleus en Australie, « la presse est accaparée par le foot et Roland-Garros. Certains journalistes considèrent que ces matches au bout du monde ne valent rien, je ne suis pas d'accord. Ce n'est pas parce qu'il y a le Mondial de foot, qu'on ne doit pas voir du rugby », et défend la politique de sa chaîne, qui mise beaucoup sur ce sport.

On peut ainsi se demander: à quoi servent vraiment ces excursions en terres (de moins en moins) inconnues, et quelle est la raison de leur multiplication ? Alors, à qui profite le crime ?

 Aux médias ou à l’organisme qui touchera les recettes des matchs* ? Ni à l'un, ni à l'autre peut-être. A l’équipe qui se fait piétiner, à celle qui remporte une victoire en trompe l’œil … ou à aucune des deux ? Aux supporters qui encensent leur sélection aveuglément, avant de la renier 6 mois après ? Aux joueurs qui pour leur première cape, repartent la valise pleine, avec le sentiment d'avoir été appelés pour faire le nombre ou à ceux, en bout de course, qui subissent une correction en guise de dénouement du marathon de leur saison ? 

Bien sûr il ne faut pas noircir le tableau, le XV de la Rose, par exemple, en ne s’inclinant que 20 à 15 sur le sol néo-zélandais ce week-end, a pu renforcer quelques unes des certitudes nées de sa deuxième place lors du Tournoi des 6 Nations, et plus globalement, les revues d’effectif qui y sont réalisées peuvent représenter un véritable enjeu sportif lors des tournées, qui sont pour certains jeunes, l'occasion de se révéler.

Mais s'il fut un temps où ces dernières étaient, pour les nations des deux hémisphères, la seule occasion de s’affronter, répondant alors au besoin d’établir une hiérarchie dans le rugby mondial, ce n'est plus le cas aujourd’hui. En effet, ce dernier a changé d’ère et, depuis 1987, la coupe du monde offre à ses plus grandes nations l’occasion d’en découdre.

Entre son calendrier surchargé et ses cadences infernales le rugby moderne peut-il encore accorder une place de choix aux tournées, qui font partie intégrante de son histoire et de son charme ? Cette question résonne comme un symbole, parmi tant d’autres, de la crise identitaire que traverse un sport qui a grandi plus vite que son ombre et qui semble pris au piège de son propre succès.

 

FARVACQUE

Simon

Publié le 11/06/14

* Pour information: avec seulement 33 718 billets vendus, la rencontre entre l’Australie et la France de samedi dernier représente la plus faible affluence de l’histoire du Suncorp Stadium de Brisbane _ pour un match international de rugby à XV_  qui peut accueillir plus de 50 000 personnes. L’absence des vedettes du club résident (Genia, Horwill et Cooper) peut, en partie, l’expliquer.


 

Sources :

Le journal L’équipe du 08/06/14

http://www.rugbyrama.fr/rugby/6-nations/2014/bilan-xv-de-france-6-nations-2014-trente-quatre-joueurs-utilises-mais-encore-des-postes-a-pourvoir_sto4177682/story.shtml

http://www.rugbyzap.fr/catalogue-droits-tv-rugby-a-15

http://fr.wikipedia.org/wiki/%C3%89quipe_de_Nouvelle-Z%C3%A9lande_de_rugby_%C3%A0_XV


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