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Ski freestyle : le prix de la liberté

Ski freestyle : le prix de la liberté


Il y a quelques jours se déroulaient les Championnats du Monde de ski freestyle et de snowboard (15-25 janvier, à Kreischberg, en Autriche) et les Winter X Games d’Aspen (22-25 du même mois) en partie simultanément. Pour plusieurs stars de disciplines telles que le halfpipe ou le slopestyle, le dilemme était aussi réel qu’incongru. Le fait que deux événements d’une telle portée internationale rentrent en concurrence, et se chevauchent, s’avère symbolique d’une famille d’activités, au court passé, tiraillée entre une institutionnalisation nécessaire à son développement et une essence libertaire. Explications et perspectives d’évolution de cette situation par l’intermédiaire, notamment, d’un focus sur le cas des freestylers français.

Les pratiques appartenant à l’univers du ski freestyle sont aussi artistiques que le flou qui y règne. Si la Fédération Française de Ski (FFS), tenue au respect des normes supranationales, en dénombre six* _ bosses, saut, big air, ski halfpipe, slopestyle, skicross _ remettre en cause ce listing n’a rien d’incohérent, à condition d’envisager le freestyle comme un mode de vie, la conceptualisation d’un état d’esprit voire d’un courant de pensée sportif, et non pas comme un strict ensemble de disciplines. Sa traduction en épreuves et non plus en idéologie est pourtant devenue une réalité.

Ski freestyle... Quèsaco ?

Lorsqu’il apparait au début des années -90, le ski freestyle se veut alors spectaculaire, ludique et hédoniste. En ce dernier point, il se construit en opposition au ski acrobatique (dont les audacieuses prémisses datent des années -20 et le développement des années -60) avec lequel il partage pourtant certains codes.

Au fil de son évolution, et au gré de l’organisation de compétitions, il se rapproche malgré tout de lui... à tel point que les deux entités fusionnent, quasiment, aujourd’hui. En effet, les Championnats du Monde de ski acrobatique (dont la première édition date de 1986) ont petit-à-petit accueilli des émanations du ski freestyle... au point de voir ce dernier s’approprier l’événement, par son nom plus moderne et clinquant.

Mais les premières scènes d’expression des freestylers n’en sont pas pourtant abandonnées et, en cela, génèrent des conflits d’intérêts.

Evénements sujets à la concurrence. A quel saint se vouer ?

En 1994, la société américaine ESPN organise les First Extreme Games (à Rhode Island), jeux qui ont vocation à devenir le rendez-vous annuel des pratiquants de sports dits «extrêmes » (tels que peuvent l’être : VTT, roller ou autre skateboard) et qui lui permettent d’exploiter un marché florissant.

Reconduits dès l’année suivante, sous le nom de X Games, ils voient rapidement leur appellation modifiée, affublée du préfixe « Summer », car face à leur succès, ESPN organise dès 1997, une version hivernale de cette rencontre de casse-cou... les Winter X Games.

Ces derniers restent pour beaucoup la référence dans un monde du freestyle qui, en plus de phagocyter les Mondiaux de ski acrobatique, pénètre l’Olympisme par le biais de certaines courses (snowboard half-pipe depuis 1998, skicross depuis 2010 ou encore ski half-pipe et slopestyle depuis 2014) et s’ouvre donc, pourtant, à d’autres horizons.

Une fois par an, les « X » et les compétitions de la FIS (Fédération Internationale de Ski) se livrent ainsi un virtuel affrontement. Par exemple, cette année, Kévin Rolland _ doté d’un énorme palmarès, entre autre médaillé de bronze à Sotchi l’an dernier _ a choisi de faire l’impasse sur les Mondiaux, pour participer aux Winter X Games (où il compte plusieurs titres) et y décrocher l’argent en Superpipe (1) [voir vidéo (2)].

A cette occasion, il s’est montré très critique vis-à-vis des hauts décideurs de la fédération : « C’est inadmissible que la FIS se permette de mettre une épreuve en même temps que les X Games. Je leur en veux beaucoup, on ne leur pardonnera jamais de faire ça » et sceptique quant à l’évolution de la cohabitation entre les deux circuits majeurs qui le concernent « Au départ je pensais qu’on pouvait faire les deux et qu’on pouvait avoir une entente comme on a réussi à le faire ces dernières années... mais sur cette saison c’était vraiment n’importe quoi. »

Universalité ou reconnaissance de la communauté ?

La priorisation qu’il a opérée, en restant fidèle au demi-tube d’Aspen, est lourde de sens, tant elle met en jeu deux rendez-vous représentant chacun des aspects différents de son sport, et résulte d’un choix cornélien ... auquel Ophélie David et Jean-Frédéric Chapuis n’ont pas été confrontés.

En effet, la détentrice de dix Globes (sept « petits » dans sa spécialité et trois « gros » au général) et le tenant du titre olympique ont tous deux terminé sur la deuxième marche du podium des Championnats du Monde, en skicross ... discipline qui n’est plus présente aux Winter X Games depuis 2013 (soit trois ans après son accession aux JO d’hiver). Changement qui n’est pas du goût de tous.

Ainsi, Enak Gavaggio _ ancien freestyler et par ailleurs freerider (3), brillant, entre autre, en skicross _  qui fut l’un des plus réticents à s’engager dans les courses du circuit FIS ne cachait pas sa déception, à l’annonce de cette modification : « Si j'étais encore coureur, je serais fou de rage ! ».

Celui qui était surnommé The Dark Lord a toujours assumé son amour inconditionnel pour les X Games : « Cinq victoires en Coupe du Monde FIS ne valaient pas une seule médaille d'or aux X ! » qu’il juge plus prestigieux ... sans pour autant rester insensible au charme des JO (avec moins de succès : 5e en skicross à Vancouver, en 2010).

L’enchaînement des faits et le positionnement ambivalent de Gavaggio, entraînent une interrogation : entre « Extrêmes » et « Olympiques » le freestyle peut-il courir plusieurs Jeux à la fois ? D’autant plus que l’enjeu de ce questionnement, n’est pas uniquement idéologique. Il est également financier, non seulement pour les instances internationales (FIS, CIO...) et les acteurs économiques concernés (sponsors, ESPN ou autres diffuseurs potentiels), mais aussi pour les freestylers eux-mêmes, dont la rémunération peut être très variable.

Grandeur et (in)dépendance. Une équation compliquée.

Beaucoup défendent eux-mêmes leurs propres intérêts et courent après l’argent qui leur permettra de démontrer tout leur talent. En France, dans cette optique, ils ne peuvent que peu compter sur la FFS, qui ne consacre qu’1 M d’euros au ski freestyle, sur un budget total de 15 M.

Ainsi, les meilleurs spécialistes français du halfpipe (Kévin Rolland, Thomas Krief, Xavier Bertoni et Ben Valentin) sont membres d’un team, intitulé Freeski Project, qui vise à promouvoir leur sport et à mettre en exergue leurs performances (par son intermédiaire, ils ont notamment sollicité le soutien de leurs fans, à travers un appel au financement participatif). Tandis que Jean-Frédéric Chapuis, Arnaud Bovolenta et Jonathan Midol (skicross) protagonistes du premier podium 100% Bleu de l’Histoire des JO hivernaux, en 2014, comptent majoritairement sur leurs propres sponsors pour les aider à perpétuer leurs bons résultats.

Cependant, la Fédération met de nombreux moyens humains (entraîneurs, techniciens, staff médical etc.) à la disposition de certains des freestylers les plus performants de l’Hexagone (selon des critères opaques... Ophélie David ne bénéficiant pas, par exemple, de tels égards et ayant été invitée à créer sa propre structure).

 De plus, les Winter X Games Europe, un temps organisés en France à Tignes, ne sont déjà plus d’actualité (ESPN ayant décidé d’arrêter l’expérience, depuis l’an passé, après quatre éditions)... sur le vieux continent, le ski freestyle manque certainement trop de maturité, pour s’offrir le luxe de se priver du soutien des institutions susceptibles de le porter.

Mais si le fait de se ranger dans le giron fédéral offre des perspectives intéressantes (bien que limitées, pour l’instant) et des opportunités... il prive également d’un certain degré de liberté. Logique contrepartie. Est-ce donc une viable solution ?

Risque d’aseptisation, spectre du formatage contre-productif

Le fait de se soumettre à de nombreuses normes et/ou à un strict comptage des points, selon les épreuves, est déjà un pas décrié vers la standardisation, face auquel l’argument de la subjectivité des notes artistiques (halfpipe) et de la spectacularité préservée (skicross) s’entend mais peut être discuté. Jusqu’où le ski freestyle peut-il aller dans cette direction ? Deux cas particuliers, d’activités appartenant avant tout à l’univers « acrobatique », bien que dites « freestyle » depuis peu, en illustrent le danger.

« Les bosses », qu’Edgard Grospiron savaient admirablement dompter, ont du mal à truster le haut de l’affiche, ayant troqué leur parure innovante pour une tenue plus classique. Ce parti pris trop lisse a peut-être rompu l’élan de cette discipline. « Le saut », quant à lui, semble  avoir perdu son âme, en même temps qu’il a gagné en technique aérienne ce qu’il a égaré en habileté sur les skis depuis que bon nombre de gymnastes le pratiquent.

La capacité à faire perdurer l’enthousiasme de la découverte, le plaisir de la nouveauté, est l’un des critères qui différencient les pratiques amenées à devenir des actrices récurrentes du paysage sportif d’un pays (voire du monde entier) de celles qui restent soumises aux effets de mode. C’est à certains instants « charnières » que s’opère cette disjonction, entre « buzz » et durable implantation.

Environnement incertain et mouvant : l’heure du positionnement ?

En effet, sur la piste du succès, existent des choix à faire, des décisions à prendre et des virages à emprunter... ou à ignorer. Or, le ski freestyle semble être à un tournant de son histoire confronté à une problématique complexe, celle du dilemme  entre sacrifier son identité sur l’autel de sa pérennité, quitte à décevoir puristes et amateurs des premières heures, et rester fidèle à ses fondements originels au risque de se mettre, économiquement, en danger.

Arbitre de cette lutte intestine _ qui pourrait amener chacune des composantes aujourd’hui regroupées en son sein à s’en émanciper, suivant leur propre stratégie, comme les exemples du saut et des bosses en attestent _ la solution du compromis s’offre également à lui.

Dans ce cas, otage de son avènement, pris au piège de sa réussite, quelle somme sera-t-il prêt à débourser pour grandir sans se travestir et se développer sans se renier : à combien s’élèvera le prix de sa liberté ?

Simon Farvacque

*http://www.ffs.fr/ski-freestyle/les-disciplines-du-ski-freestyle

(1) dérivé du halfpipe

(2) http://www.e-adrenaline.fr/neige/actualites/superpipe-x-games-aspen-2015-kevin-rolland-stratospherique/5716

(3) le freeride, souvent confondu avec le freestyle par les profanes, se pratique maintenant, parfois, en compétition... mais est à l’origine réservé à la découverte d’espaces vierges à la neige immaculée, en face-à-face avec soi-même et en affrontant les dangers de la Nature plutôt que des adversaires.

Sources :

http://www.sportbuzzbusiness.fr/youtube-diffusera-les-championnats-du-monde-2015-ski-freestyle-snowboard.html

http://www.meltyxtrem.fr/championnats-du-monde-de-ski-et-snowboard-freestyle-2015-programme-des-epreuves-du-14-au-25-janvier-a-kreischberg-a370783.html

http://www.skipass.com/news/79322-fin-du-skicross-aux-x-games.html

http://fr.wikipedia.org/wiki/Oph%C3%A9lie_David

http://videos.tf1.fr/jt-20h/2015/les-freestylers-peinent-a-tirer-profit-de-leurs-performances-8551217.html

http://www.meltyxtrem.fr/kevin-rolland-le-freeski-project-lance-un-appel-aux-dons-pour-financer-ses-projets-a338356.html

http://docnum.univ-lorraine.fr/public/BUS_M_2013_DOUISSARD_JEAN.pdf  

http://www.e-adrenaline.fr/neige/actualites/kevin-rolland-nous-parle-de-la-finale-des-x-games/5746

Publié le 30/01/2015


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