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Usain Bolt, un empire à ré-asservir

Usain Bolt, un empire à ré-asservir

Sur la sacro-sainte tête du Roi Usain, la couronne de souverain du sprint mondial est toujours bien vissée, car seules les confrontations directes et les titres sont susceptibles de bouleverser véritablement un ordre si puissamment établi, mais « la Foudre » se doit de réaffirmer son autorité. En effet, en son absence forcée, Justin Gatlin, le repenti, a clairement postulé au statut d’homme le plus véloce de la planète (invaincu sur 100m l’an dernier). Alors, cette saison, Bolt, qui s’apprête à faire sa rentrée sur la distance reine (à Rio de Janeiro, le 19 avril), s’avérera-t-il aussi hégémonique qu’il l’a été par le passé ?

11 août 2005 : Justin Gatlin, Champion Olympique en titre sur 100 m, et tout juste médaillé d’or mondial de la même discipline, confirme son emprise sur la concurrence en s’imposant nettement en finale du 200 m des Championnats du Monde d’Helsinki (20s04, sur une piste détrempée). Il est la figure de proue d’un sprint américain masculin archi-dominateur _ dans cette course, il devance trois compatriotes avec qui il réalise un incroyable quadruplé _ qui a trusté cinq breloques sur six aux derniers JO, en individuel (100 et 200m). Mais dans l’ombre de cette ultra-prédominance de la bannière étoilée, un jeune Jamaïcain (18 ans) avait entamé les 80 dernières mètres de ce demi-tour de piste  en position idéale pour décrocher un podium... voir plus. Fauché en plein envol par une blessure musculaire, il s’était finalement contenté d’une discrète huitième place (26s27)*. Son nom ? Bolt. Usain Bolt.

C’était il y a dix ans. Depuis, tant de choses ont changé. Aujourd’hui, la Jamaïque fait office de Nation référence au royaume des sprinteurs dans des proportions comparables à celles qui voyaient les Etats-Unis régner il y a une décennie. Symbole de cette évolution, sur courte distance, lors des JO de Londres, cinq des six places synonymes d’or, d’argent ou de bronze ont été occupées par des représentants de son drapeau (sur 100 et 200). Soit exactement le même ratio que celui qui traduisait l’omnipotence américaine en 2004. Mais plus encore que ce renversement du leadership à l’échelle des contrées, une superstar a polarisé toute l’attention de la planète à maintes reprises sur la période écoulée. Son nom ? Bolt, évidemment. 

Époustouflante éclosion : logique pour les spécialistes, surprise pour les profanes

Cette évidence s’est imposée de manière surprenante (et ultra accélérée) pour de nombreux amateurs, distants et non passionnés, de l’athlétisme. En effet, en termes de chrono, sur 100m (épreuve la plus médiatisée... qu’il boudait alors) le bond en avant d’Usain Bolt fut vertigineux : dès qu’il cède à ses sirènes, il casse la barre des 10 secondes puis bat le record du monde plusieurs fois (le portant à 9s72 puis à 9s69) en moins d’un an, en 2008. Cette deuxième amélioration, il la réalise en finale olympique, avec une décontraction édifiante (se permettant de célébrer son sacre avant de franchir la ligne d’arrivée) qui fait naître tous les fantasmes quant à sa marge de progression (il abaissera sa marque à 9s58 en 2009).

Cependant, cet avènement express était tout sauf insoupçonné, au préalable, par les experts de son sport. Ainsi, très jeune, Bolt était déjà considéré comme un prodige, un ténor en devenir. Élu « étoile montante masculine » en 2002 et 2003, par l’IAAF, il impressionne par sa précocité (titre de champion du monde junior du 200m à seulement 15 ans, en 2002, « meilleur performance mondiale de la jeunesse » en 2003, avec 20s13) et sa grande foulée.

En remontant ainsi le fil du temps, son évolution prend du sens : échec aux JO d’Athènes en 2004 (éliminé en série à quelques jours de ses 18 ans), fameuse désillusion de 2005, 2e place sur sa distance fétiche aux Mondiaux de 2007, derrière Tyson Gay alors parti _ aux yeux de bon nombre _ pour un long bail de domination (sur 100 et 200m, qu’il venait de « doubler »), ont donc précédé  l’adoubement de Sa Majesté.

L’homme des grands rendez-vous. Montagnes russes chronométriques

A partir de ce dernier, Bolt a accumulé les sacres et les records, triplement paré d’or aux JO 2008 et 2012 ainsi qu’aux Mondiaux 2009 et 2013 (100m, 200m et 4x100m). Seul pseudo-accroc, à Daegu, où il se satisfait tant bien que mal de deux titres (CDM 2011), Yohan Blake, son jeune camarade d’entraînement, s’imposant au bout d’une ligne droite que son ainé n’avait pas parcouru à cause d’un faux départ. Même lorsqu’il ne triomphe pas, il n’est pas véritablement battu, même lorsqu’il ne coupe pas la ligne en premier, il attire les projecteurs à lui (son élimination restant une des images fortes de la compétition)... Bolt est unique.

En mano-a-mano « régulier », dans le cadre de l’un des deux plus grands évènements planétaires de l’athlétisme, personne n’a donc su faire chuter le phénomène Usain depuis qu’il a conquis le globe. Paradoxalement, cette immense régularité dans le succès se conjugue avec des performances, certes toujours excellentes, mais parfois sur courant alternatif avec, notamment, un léger recul dans l’excellence (2010-2011) [comme le démontrent les infographies suivantes, représentant ses meilleurs résultats sur 100 et 200 mètres (intimement liés), chaque saison, et qui mettent également en exergue son pic de progression de 2008-2009].




Pourquoi cette relative régression ponctuelle... qui tend à se renouveler ? 

Morphologie (in)adaptée ? Cocktail de puissance et de fragilité

D’une part « la Foudre » connait la recette de l’éternelle reconnaissance et focalise son attention sur les tournants de sa carrière, d’une autre, son physique ne lui permet pas de briller sans discontinuité. Le corps d’Usain Bolt, grand et élancé (1m95), ne le prédestinait pas, a priori, à briller sur de si courtes distances (son gabarit rentre plus dans les « standards 400m »), car il est incompatible avec les démarrages explosifs dont, par exemple, le « Pitbull » Maurice Greene (1m76) avait fait sa spécialité.

Pourtant, tant de fois, Bolt s’est détaché de la meute, irrémédiablement, dans les quarante derniers mètres d’un 100 ou dans le virage d’un 200, grâce à la fantastique capacité qui le caractérise : celle d’allier fréquence et amplitude avec une aisance longtemps jugée inimaginable. Mais à tout avantage, il existe un inconvénient.

Le formidable outil de travail dont dispose le Roi Usain, est aussi son pire ennemi. Avec une jambe plus grande que l’autre (asymétrie moins marquée que celle du mythique footballeur brésilien Garrincha) pour soutenir sa belle carcasse, le super-athlète jamaïcain met souvent à mal ses articulations, en perpétuelle compensation.

Si celles-ci sont rarement les endolories coupables de ses absences, elles jouent sans doute un rôle dans leur récurrence  (problèmes de dos, il y a cinq ans notamment, et aux ischio-jambiers). Défier les lois de la biomécanique a un prix.

C’est d’ailleurs une blessure, au pied, qui a fait de sa saison 2014 un opus si « médiocre ».

Une discrétion presque classique… mais dans d’inédites proportions

Lors des années dites « sans grand championnat », la relative mise en stand-by de la star n’a donc rien d’inhabituelle (en 2010 il n’avait pas terminé avec le meilleur temps mondial sur 100m), seulement, cette fois, la donne est sensiblement différente. En effet, la situation est inédite : Bolt n’a pas seulement desserré l’étreinte… il a provisoirement rendu leur liberté à ses adversaires, il n’a pas uniquement été ralenti par des petits pépins physiques… ces derniers ont eu raison de sa saison, il ne s’est pas contenté de permettre à ses rivaux de le talonner ou de le devancer d’une courte tête… il leur a laissé le champs libre pour s’affirmer (voir ci-joints, graphiques comparant les performances annuelles de Bolt, précédemment détaillées, avec celles de son plus sérieux opposant du moment, leader ou premier dauphin au «  bilan »).




Dans ces conditions, les questions qui planent autour de sa toute-puissance sont présentes comme jamais elles ne l’ont été depuis qu’il a acquis ce statut d’homme quasi-invincible, quand l’Histoire s’écrit, qui lui colle à la peau depuis 2008. 

Usain Bolt, l’athlète, le personnage, la star, a déjà tordu le cou à moult normes préétablies, prouvé à maintes reprises que les barrières soupçonnées pouvaient être repoussées, révolutionné son sport dans des proportions allant bien au-delà des pistes, s’aventurant dans des domaines relevant de l’ « extra-sportif » [modification de certains codes (fini le simple dilemme entre agressivité et austérité, au moment d’être à l’écran présenté), aura indéfinissable et image de marque surexploitée].  

Inébranlable confiance. Sempiternel refrain de la reconversion

Cependant, « la Foudre » n’en reste pas moins soumis aux mêmes contraintes que le commun des mortels : l’usure du temps _ mentale (peut-être), physique (sûrement) _ le guette. Alors, entre corps meurtri à l’origine d’un lent déclin et économie d’énergie répondant à une stratégique « impasse » en vue de demain... où se situe la vérité ?

Bolt a-t-il encore de l’ambition ? C’est certain. De celle-ci a-t-il les moyens ? Il y a fort à parier qu’il n’en doute point. En effet, le bonhomme n’a pas peur des superlatifs lorsqu’il évoque sa propre personne, déclarant, non sans humour, «  Je sais juste que je suis une légende. » peu après ses victoires individuelles londoniennes (2012). Récemment, par le biais de son entraîneur Glen Mills, cette sérénité s’est de nouveau exprimée : « Usain à son meilleur niveau n'a pas vraiment de quoi s'inquiéter » (en réponse à une question au sujet du danger que peut représenter Justin Gatlin pour son protégé).

Pendant deux ans encore, rester, selon la formule consacrée « l’homme le plus rapide du monde » sera le leitmotiv de Bolt et de son clan, avec pour finalité un incommensurable exploit à réaliser : gravir une troisième fois le Mont Olympe avec un brelan de médailles d’or autour du cou.

Mais les nouveaux défis que le grand Jamaïcain pourrait alors se fixer, post-Rio, sont-ils vraiment cantonnés à l’après-JO ? En effet, pour rejoindre le géant Carl Lewis au panthéon (10 médailles dont 9 en or aux Jeux), Bolt, six couronnes, devrait remporter quatre breloques en 2016, dont au moins trois forgées du plus glorieux métal. Saut en longueur (comme Lewis) et 400 mètres (qu’il a couru en 46s37 à l’entame de sa saison 2015) lui font les yeux doux. En 2012 il semblait plus proche de céder à l’un « Mon coach souhaite que je fasse du 400m, moi, je veux essayer la longueur », mais se laisse aujourd’hui tenter par l’autre.

Un surnom à double lecture ... toujours de bon augure ?

Enfin _ mais cela relève plus de l’anecdote, pour le moment _ c’est en maniant le ballon rond qu’Usain pourrait continuer de faire parler de lui, n’ayant jamais caché son appétence pour le football et son attirance pour le club de Manchester United... dont le climat de la ville pourrait le rebuter [«il fait trop froid ! » (1)].

Pour l’heure, c’est encore sur le tartan qu’il envisage de s’illustrer, cherchant à réaffirmer sa souveraineté (en condamnant de nouveau la dissidence à la figuration) et à redorer son blason, moins lumineux depuis que ses vassaux, Justin Gatlin en tête, y ont jeté un léger voile nuageux.

Mais attention... sans cumulus, point d’orage ni de foudre. Ainsi, Usain Bolt n’a sans doute pas fini de nous surprendre. L’horizon brumeux, moins dégagé que ne l’était le ciel bleu azur de ses succès indiscutables et de ses records à foison, et l’avenir moins limpide qui se présentent à « la Foudre » peuvent augurer de la fin de son hégémonie... mais aussi présager de nouveaux éclairs de génie.  

Simon Farvacque

*https://www.youtube.com/watch?v=rmSGE3onhts

(1) http://www.20minutes.fr/sport/football/1539483-20150212-usain-bolt-jouera-manchester-united-car-fait-trop-froid

Autres sources :

http://translate.google.fr/translate?hl=fr&sl=en&u=http://www.iaaf.org/&prev=search

http://www.lemonde.fr/sport/portfolio/2005/08/11/apres-sa-victoire-sur-100-m-l-americain-gatlin-s-arroge-le-200-m_679556_3242.html

http://usain.e-monsite.com/

http://www.lequipe.fr/Athletisme/Actualites/Usain-bolt-n-a-pas-de-quoi-s-inquieter-avec-justin-gatlin/548968

http://www.liberation.fr/sports/2012/08/10/usain-bolt-je-suis-une-legende-vivante_838936

http://www.20minutes.fr/sport/football/1539483-20150212-usain-bolt-jouera-manchester-united-car-fait-trop-froid

http://www.eurosport.fr/athletisme/bolt-et-le-400m_sto3424449/story.shtml

Publié le 16.04.2015


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