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Guerre d’ego à la Tinkoff-Saxo ?




Le cyclisme est un sport individuel éminemment collectif. Derrière ce paradoxe sémantique se noue une réelle nécessité de hiérarchisation au sein des différentes formations. Lorsque le leader s’impose de fait, peu de conflits sous-jacents ne sont a priori à déplorer, mais quand, entre deux ou trois membres du groupe, la question de la définition des grades et statuts se pose légitimement, cette dernière peut être source de tensions. En l’occurrence, cette saison, l’équipe du milliardaire russe Oleg Tinkov (Tinkoff-Saxo) comptera dans ses rangs d’excellents coureurs, dont deux ont un profil quasiment incompatible avec celui de coéquipier modèle : l’association entre Peter Sagan et Alberto Contador s’annonce aussi redoutable que complexe à manager. Comment la cohabitation entre les deux hommes va-t-elle se dérouler ?
 
Le choix des coureurs devient-il accessoire ? Une théorie à réfuter. 
Sur l’univers du cyclisme plane toujours le même doute, la même suspicion permanente. Tel un nuage de fumée  qui a aujourd’hui achevé de discréditer tout un sport aux yeux de nombreux potentiels spectateurs, l’ombre du colosse aux pieds d’argent _ tant les enjeux financiers qu’il cristallise le renforcent _ nommé dopage, plonge le vélo dans le noir. 
Ce ne sont ni l’hégémonie de la sombre Team SKY sur les Tour de France 2012 et 2013, ni les récents déboires et incartades de l’équipe Astana, dont les couleurs augurent pourtant d’un ciel bien plus bleu, qui ravivent la flamme de l’espoir d’un jour voir l’horizon du vélo se dégager de tous les cumulus menaçants que représentent les pratiques dites dopantes.
Ces dernières sont ainsi bien plus qu’une des dérives de l’évolution de la Petite Reine, de sa professionnalisation et de sa mondialisation, elles sont ancrées dans son organisation systémique, tel un indispensable rouage. De plus, même en adoptant l’utopique vision d’un monde meilleur régi par des décideurs désintéressés, le problème reste insoluble. En effet, les avancées scientifiques en matière d’amélioration de la performance gardant toujours un temps d’avance sur les moyens de détecter les produits qui en sont le fruit, il est impossible de proscrire ces derniers efficacement. Au royaume de l’opacité, la transparence ne peut, en un jour, se décréter. 
Mais si la course à l’armement dans le secteur pharmaceutique reste une réalité… celle qui s’opère dans le domaine des coureurs sur le marché n’est pas à oublier. Prédispositions génétiques, tempérament de gagneur ou autre science de la course ne sont pas des capacités qui s'acquièrent par transfusions sanguines. Dans cette optique de renforcement de l'effectif, se pose alors un souci: abondance de biens peut nuire.
Or, et c'est un euphémisme,  par son recrutement ambitieux Oleg Tinkov a procuré aux directeurs sportifs de sa formation autant de "problèmes de riches" que de perspectives d'un avenir radieux. 
 
Deux figures de proue pour un seul navire. Ce dernier risque-t-il de couler ? 
Peter Sagan, jeune insouciant, provocateur voire impétueux, polyvalent autant que talentueux est en effet venu rejoindre Alberto Contador, l'un des plus éminents coureurs des huit dernières années, pour qui les courses de trois semaines n'ont plus aucun secret. Le Slovaque et l'Espagnol, dont l'association fait des envieux, peuvent former un duo "dangereux"... pour leurs adversaires comme pour eux. 
En effet, dans le passé, les équipes cyclistes ainsi structurées autour d'un pouvoir bicéphale ont connu des fortunes diverses. Si les éditions 1985 et 1986 du Tour de France sont remportées par des coureurs de La Vie Claire, successivement Bernard Hinault et Greg LeMond, la rivalité interne qui existait entre ces deux hommes a bien failli coûter la victoire finale à leur formation... mais leur supériorité manifeste l'a emporté sur leurs états d'âmes, leurs aspirations individuelles et leur réticence à collaborer plutôt qu'à se défier. Si, dans ce cas, peu de conséquences négatives furent à déplorer, parfois, quand les objectifs communs sont sacrifiés sur l'autel des ambitions personnelles, ces deux choix stratégiques, pourtant potentiellement compatibles, se nuisent mutuellement jusqu'à faire péricliter leur accomplissement. 
D'avant-hier, quand les coureurs français étaient les principaux responsables de leur échec collectif, sur le Tour, durant la fin des années -50 *, à aujourd'hui, lorsqu'Alejandro Valverde et Purito Rodriguez laissent échapper le titre de champion du monde sur route 2013, en faisant preuve d'une stratégie d'équipe pour le moins surprenante1, ce risque s'est souvent vérifié. 
Face à ces quelques exemples, le premier argument plaidant en faveur de Contador et Sagan, et de leur capacité à gérer l'épineux problème du partage des responsabilités, est celui de leur complémentarité. C'est en tout cas celui qu'avance l'Espagnol: "nous sommes parfaitement compatibles. Ensemble, nous permettrons à la Tinkoff-Saxo de jouer un rôle dans toutes les courses du calendrier" .. non sans sous-entendre que certaines épreuves devront rester sa chasse gardée ? La question peut se poser. 
 
Des objectifs différents, pour une entente cordiale. Argument validé ? 
Une certitude demeure, a priori, les deux hommes ne jouissent pas d'identiques domaines de prédilection et ont des champs d'action qui les rendent à-même de se répartir les rôles. En termes de calendrier, une alternance harmonieuse peut s'envisager: Sagan a le profil du chasseur de Classiques et Contador celui du coureur de courses par étapes. Sur la route, quand les deux cadors seront alignés sur une épreuve au long cours, le Slovaque pourra tenter d'accumuler les bouquets quand l'Espagnol briguera le classement général et, sur les courses d'un jour, el Pistolero pourrait aider son coéquipier à contrôler la course ou reporter le poids de cette dernière sur les épaules des autres formations, en endossant le costume d'éclaireur.
Ce joyeux présage est à la fois rendu crédible et relativisé par le cas récent de l'équipe SKY, qui peut ici faire figure de référence. En effet, avant même qu'elle ne se caractérise par une lutte d'influence entre deux coureurs aux registres semblables (Wiggins et Froome) la formation britannique a été confronté, en 2012, à la complexité de présenter en son sein, sur le Tour de France, un favori déclaré au maillot jaune (Bradley Wiggins) et le tenant du titre du maillot vert (Mark Cavendish). 
L'avènement (confirmé, car sa précédente Vuelta, bouclée à la deuxième place du classement général, ne laissait guère planer de doute sur ses capacités) de Christopher Froome venant rajouter une troisième inconnue à cette équation et la priorité étant clairement identifiée: voir, pour la première fois, un coureur issu de Grande-Bretagne se présenter sur les Champs-Élysées en tant que vainqueur de la Grande Boucle, les chances de récidiver au classement par points, pour le Cav', se sont vite envolées. 
Certes, avec trois succès d'étapes, dont une quatrième victoire consécutive sur l'une des plus belles avenues au monde, le sprinteur de l'Île de Man réalisera un Tour de France correct, mais le compromis auquel il aura du se résoudre ne sera pas longtemps de son goût: il rejoint la formation Omega Pharma-Quick Step dès la saison suivante. 
 
 Sagan doit s’adapter… adieu vertes années ?
Savoir faire des concessions est donc un des prérequis nécessaires pour que de telles associations s'avèrent fructueuses et Peter Sagan risque d'être confronté au même problème que Cavendish, à qui il avait justement ravi le maillot vert du TDF en 2012. Maillot dont il ne se dévêtit plus depuis.
En partie forcé, le fait pour lui d'éventuellement se désintéresser de la tunique de leader du classement par points de la Grande Boucle pourrait également s'inscrire dans la logique d'autres conjonctures.
Premièrement, sa propension à devenir un coureur qui lève de moins en moins les bras (aucune course remportée depuis la 3e étape du Tour de Suisse), bien qu'hyper-régulier (figurant dans le Top 5 des sept premières étapes du dernier Tour de France), commence à faire jaser _ où est passé le fantastique finisseur qu'il a été ? _ et pourrait l'inciter à se spécialiser en tant que Classique-man, ce dont il ne se cache pas, en avançant : " j'échangerais bien un maillot vert pour un succès dans une grande Classique."
En second lieu, la modification du barême d'attribution du maillot vert, qui rentrera en vigueur dès la prochaine édition du TDF, ne l'avantage guère. 2
Pour ces nombreuses raisons, il est peut-être l'heure pour Sagan d'acter sa spécialisation. Il n'a décroché aucun des cinq Monuments du cyclisme (Milan-San Remo, le Tour des Flandres, Paris-Roubaix, Liège-Bastogne-Liège et le Tour de Lombardie), ce qui n'a rien d'infamant vu son jeune âge (24 ans) mais qui reste un véritable révélateur des progrès qu'il lui reste à accomplir et le symbole du cap qu'il se doit de franchir. 
 Résolument confiant "L'équipe a un grand moral, et un esprit de groupe très fort. Nous sommes sûrs que nous serons invincibles la saison prochaine" autant que bon communiquant, le phénomène slovaque a déjà prouvé qu'il savait, plus ou moins, être un bon équipier, endossant efficacement ce rôle auprès de Nibali sur la Vuelta 2011 et le TDF 2012, puis plus maladroitement lorsqu'il a soufflé la victoire à Oscar Gatto, en voulant la lui offrir, sur la première étape des Trois Jours de la Panne, en 2014). 
 
 Cohabitation compliquée ? Contador est rodé. 
Gregario, Alberto ne l'a plus été depuis bien longtemps mais il a déjà été partie prenante d'une situation compliquée, au sein de laquelle son statut de leader  était contesté... voire totalement factice et instrumentalisé. Il a en effet partagé le devant de la scène avec un certain Lance Armstrong. 
En 2009, ce dernier fait son retour et son inaltérable soif de pouvoir se cache à peine derrière les discours convenus. Certes reconnu par tous comme le nouvel homme fort des courses par étapes, le jeune Contador (alors âgé de 26 ans) doit trouver sa place dans une équipe Astana, théoriquement dévouée à sa cause… mais qui l’est réellement _ ou en tout cas en grande partie _ à celle du Texan.  
Dès l'entame du Tour, l'Espagnol pense réaffirmer sa position en prenant une belle 2e place derrière Cancellara (reléguant LA, honnête 10e, à 22 secondes) à l'occasion du chrono inaugural, mais la césure que l'on soupçonne, entre ses équipiers et lui, va s'exprimer au grand jour lors de la 3e étape. 
Une bordure scinde le peloton en deux. Armstrong est à l'avant, Contador à l'arrière. Non seulement aucun coureur d'Astana présent dans le bon coup ne se laisse décrocher pour porter main forte au pseudo-leader piégé, mais Popovych et Zubeldia relayent même en tête de course, aident à creuser l'écart et font de l'ogre américain le coureur le mieux placé de leur écurie au classement général. 
Le lendemain, pour moins d'une seconde, lors du contre-la-montre par équipe, Armstrong rate sa chance: il ne portera plus jamais le maillot jaune de leader du Tour de France. Quelques jours plus tard, lors de la première étape de montagne, Contador fait fi des consignes d'équipe, attaque à quelques hectomètres du sommet, repasse devant son ennemi intime et ne laisse dorénavant plus aucune place au doute: le patron de cette Grande Boucle, c'est lui. Il la remporte finalement aisément , avec 4 minutes d'avance sur Andy Schleck et 5 sur un Armstrong qui sera finalement déclassé. El Pistolero vient de confirmer qu'il a tout d'un grand. 
 
Qu'en disent les principaux intéressés ? 
Cette relation, malsaine, ne se reproduira pas, entre Sagan et Contador, mais, bien que cela semble peu probable pour les raisons déjà évoquées, la Tinkoff-Saxo tentera peut-être de devenir la première équipe depuis la  Deutsche Telekom en 1997 (par l'intermédiaire d'Ullrich et Zabel) à faire le coup double jaune-vert sur le Tour de France, alors ce dernier pourrait cristalliser la potentielle rivalité qu'entretiendrait les deux têtes d'affiche de la formation russe. Le fait qu'à cette dernière pourrait également venir se greffer l'ambition d'un troisième larron (Majka, Kreuziger ?) est une raison de plus pour espérer, du côté de la Tinkoff-Saxo, qu'entre Contador et Sagan règne l'amitié et non l'animosité. Que semble-t-il en être à ce sujet ? 
Le Slovaque met surtout en avant des objectifs sportifs pour justifier son changement d'équipe: " Riis, je le connais, et je sais que c'est un grand entraîneur. Maintenant, je vais écouter ce que me recommande l'équipe, aussi bien au niveau tactique que du programme. C'est peut-être un changement dont j'avais besoin [...] Je dois commencer à gagner les Grandes Classiques, et dans le même temps continuer à m'amuser sur un vélo."  déclarant seulement au sujet d' AC, qu'il ne voyait pas d'inconvénients à courir à ses côtés: "En 2012 avec Liquigas. Nibali avait terminé 3ème (du  TDF)  et j'avais gagné le maillot vert. L'équipe devra travailler et donc ils seront aussi avec moi.".
Alors que l'Espagnol se montre plus enthousiaste, voire dithyrambique envers son compère : "C'est une très grande nouvelle ! C'était attendu mais je suis heureux que ce soit maintenant officiel. En plus d'entretenir de bonnes relations avec Peter, c'est aussi un grand coureur et un gagnant-né. Je suis sûr que l'arrivée de Peter va nous apporter de bonnes choses." avec qui il se voit former un duo complémentaire (voir plus haut). 
Contador nous a prouvé ses qualités de bluffeur à l'occasion de la dernière Vuelta, mais il semble ici jouer la carte de la sincérité tant il a longtemps plaidé pour la venue de son talentueux nouveau coéquipier. 
Au vu de ce panorama, l'optimisme est de mise... mais la prudence doit le rester. 
 
Un enjeu majeur qui sera prégnant toute l'année
Réunir sous le même emblème deux champions au coup de pédale si redouté et au caractère si marqué est un pari risqué. Le simple fait qu'il soit tenté s'avère d'ores et déjà être une importante donnée de la saison qui s'apprête à se dérouler. Est-ce à tour de rôle qu'Alberto Contador et Peter Sagan tenteront de briller ? Leur collaboration peut-elle leur permettre de se sublimer ? Leur association représentera-t-elle au contraire un handicap partagé ?  
Autant d'interrogations susceptibles d'impacter l'immense majorité des grandes courses de l'année, autant de questions qui font de la suivante le reflet d'un enjeu impossible à occulter:  à la Tinkoff-Saxo, la guerre des ego va-t-elle être déclarée ?
Simon Farvacque 
 
* http://yourzone.beinsports.fr/tour-de-france-1958-1959-la-fierte-lemporte-sur-le-patriotisme-73582/
1 http://www.lequipe.fr/Cyclisme-sur-route/Actualites/Rodriguez-stupide/405186
  2 le nombre de points attribués au vainqueur augmentera, alors que celui dont bénéficieront les coureurs qui décrocheront des places d'honneur diminuera. La "gagne" étant ainsi valorisée par rapport à la régularité. http://www.sports.fr/cyclisme/tour-de-france/scans/modification-du-bareme-pour-le-maillot-vert-1130108/
Autres sources: 
http://fr.wikipedia.org/wiki/Mark_Cavendish http://fr.wikipedia.org/wiki/Tour_de_France_2014
http://fr.wikipedia.org/wiki/Tour_de_France_2009
http://100pour100-velo.com/dernieres-infos-20-10104-peter-sagan-sur-d-etre-invincible.html
http://www.lequipe.fr/Cyclisme-sur-route/Actualites/Contador-heureux-pour-sagan/488602
http://100pour100-velo.com/dernieres-infos-20-9599-peter-sagan-un-changement-dont-j-avais-besoin.html
Publié le 25/12/14 

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